31. Début de chemin l'un sans l'autre

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Tout en se passant la main dans les cheveux et en tentant de reprendre son souffle, Kilian glissa mécaniquement son téléphone dans son sac, sans même se rendre compte de ce qu'il venait de faire. Son esprit était ailleurs. Ce qu'il avait vu en arrivant devant la salle d'armes l'avait laissé dans un état second. La surprise l'empêchait de penser sereinement. Ainsi, il n'était pas le seul escrimeur de son club à être intéressé par les garçons ? Apercevoir Sohan dans les bras d'un homme bien plus âgé que lui avait été un choc. C'était étrange, presque insensé, et pourtant, cela indiquait très clairement une chose dont l'adolescent n'avait pas forcément toujours eu conscience : il n'était pas le seul à avoir des secrets. Il n'était pas le centre du monde, seulement le héros de sa propre histoire et, à la limite, un personnage secondaire de celle des autres.

Assis sur le banc du vestiaire la tête plongée dans ses mains, il se sentait mal. Pas tant à cause de Jean-Pierre – qui l'attendait depuis déjà dix minutes et l'appelait en criant à travers la porte en le menaçant d'un horrible traitement de faveur à base de flexions, de pompes et d'abdominaux s'il ne se bougeait pas le cul très vite – que de son comportement. Pendant de longues secondes, caché dans l'ombre d'un pilier, il avait observé son aîné au crâne presque rasé en train de s'abandonner dans les bras d'un trentenaire un peu gras et apparemment vicieux. Pourtant choquante, cette vision l'avait subjugué jusqu'à colorer d'une teinte ocre son visage. Et quand le plus jeune des deux amants avait tourné la tête dans sa direction, le jeune lycéen s'était laissé glisser jusqu'à ce que ses fesses touchent le sol en priant, le souffle lourd, pour que sa maudite curiosité n'ait pas été découverte.

Lors de l'entrainement qui suivit et après avoir accepté de rejoindre les autres sur la piste, Kilian ne réussit pas la moindre attaque, comme s'il était tétanisé par le sourire perfide de Sohan qu'il imaginait sous son masque, ce qui provoqua l'agacement de Jean-Pierre. Après dix tours de la salle d'armes au pas de course, l'adolescent s'effondra sur un banc pour reprendre son souffle, moment que choisit son aîné pour sortir du bois en lui passant machinalement la main dans les cheveux.

« T'es vraiment pas discret quand tu espionnes les autres, Kil ! Tu croyais vraiment être le seul gay du quartier ? Il va vraiment falloir que je te prenne en main et que je t'explique deux trois trucs sur la vie afin de mettre un peu de plomb dans ton crâne de piaf. Tu verras, à la fin, tu me remercieras ! »

Honteux que son coup d'œil ait été aussi peu discret et intrigué par ce que son camarade venait de lui dire, Kilian rentra lentement jusqu'à chez lui en baissant la tête et en trainant les pieds. Puis, après une collation préparée par Cédric qu'il dévora en quelques instants, il se jeta sur son PC avec un seul désir en tête, pleurer sans un mot sous le regard attentif d'Aaron. Des fois, juste chouiner sans raison ni justification lui faisait du bien. Il s'était retenu depuis trop longtemps et, plus que jamais, il avait besoin de sa petite crise de larmes inutile et du réconfort du seul garçon qui le comprenait vraiment Ce dernier, cependant, ne se connecta jamais ce soir-là, au plus grand désespoir du petit blondinet qui s'endormit en serrant fortement contre lui l'énorme peluche d'éléphant que son amoureux lui avait offerte lors de son anniversaire.

Après son coup de fil avorté, Aaron n'avait tout simplement pas eu le cœur d'attendre pendant des heures que Kilian se connecte. La colère avait très rapidement chassé la peine et il avait préféré aller se coucher peu après le repas, sans oublier d'éteindre son téléphone. C'était sa manière à lui de punir son amoureux pour sa muflerie. La semaine qui suivit, le brunet passa le plus clair de son temps libre en compagnie de Tess, Laura et surtout Justin. Le jeune garçon, qui commençait à peine sa puberté, avait le teint et l'apparence d'une poupée en porcelaine. Il en avait aussi la fragilité et la délicatesse. Même si son niveau catastrophique en math était une réalité, il compensait par la maitrise d'outils rares pour les jeunes de son âge, à savoir l'emploi du subjonctif et de la versification. Dans ses cahiers d'école, tandis que d'autres dessinaient, lui écrivait de petits poèmes qu'il lisait ensuite à son nouvel ami, ce qui l'attendrissait au passage. Pour Aaron, ce camarade lui faisait tantôt penser à un petit chat, tantôt au premier garçon qu'il avait embrassé quand il était plus jeune, bien avant de connaitre Kilian. L'élu se nommait Akemi, était mi-Japonais, mi-Français, avait l'élégance d'une geisha et le tempérament d'une crème à la vanille. Justin s'en rapprochait par bien des aspects, mais ajoutait à tous ces qualificatifs de douceur une certaine espièglerie qui se manifestait pleinement dans la forme courbée vers le ciel que prenaient ses lèvres quand il souriait. Au final, il n'avait fallu au garçon aux yeux noirs que quelques jours pour apprivoiser son camarade et le retrouver sur ses genoux lors de la pause déjeuner.

Ce qu'il voulaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant