18. Quand une petite peste s'en mêle

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« En raison des conditions climatiques et du fort vent qui s'est levé dans la nuit, la sortie de canyoning est annulée et remplacée par un tournoi de foot. Et il durera toute la journée. À vos crampons ! »

L'annonce de Basile, lors du petit déjeuner, fut accueillie par les sifflets des vacanciers. Le canyoning, représentait un sport sympa et impossible à pratiquer chez soi. Le foot, c'était la distraction habituelle du midi dans la cour de récréation, ce qui était quand même moins drôle. Pour Aaron, par contre, cette nouvelle sonna comme un soulagement. Au moins, sur un terrain de foot, Kilian ne risquait pas de se jeter à l'eau pour essayer de concurrencer les pierres dans une compétition d'apnée. La tête d'enterrement du blondinet parlait pour lui. Il était terrorisé. Après avoir été pris sur le vif par le moniteur canadien, les deux adolescents s'étaient rhabillés sans un mot. Basile leur avait seulement dit de se dépêcher de rejoindre les autres pour la veillée. Un lourd silence des plus angoissants les avait accompagnés toutes la soirée. Kilian avait honte. Non pas d'aimer Aaron, – ça, c'était sa plus grande fierté – mais de s'être retrouvé ainsi humilié. Être vu nu ne lui posait aucun problème. Être choppé par un adulte en pleine copulation avec son amoureux dans la position la plus animale qui soit passait beaucoup moins bien. Surtout, il avait peur. Peur du regard des autres, des réactions, des moqueries et des insultes si cela venait à se savoir. Il les avait déjà vécues au collège, lorsque son aventure avait été dévoilée par une âme perverse. Avec Aaron, ils s'étaient battus, ils avaient été les plus forts. Mais à l'époque, la petite fleur de Kilian n'avait pas encore été cueillie. Il n'avait pas encore offert son honneur et sa fierté masculine à sa panthère. Et à l'époque, il n'avait pas été seul. Outre Aaron, le collégien avait pu compter sur toute sa bande de potes pour faire taire les messes basses et stopper les quolibets.

« Arrête Kilian, c'est bon, il va rien se passer, j'te l'jure ! Basile est pas con, il va fermer sa gueule. Et même, on s'en fout, on assume, bordel ! J'vais pas m'interdire de faire l'amour à l'homme de ma vie à cause des autres, ça, jamais ! »

Le brunet se voulait rassurant, même s'il stressait tout autant. Ce qu'il désirait à tout prix éviter pendant ces quinze jours, à savoir qu'ils soient gâchés par l'obligation de se montrer, de se justifier et de se battre à cause d'un simple flirt adolescent, risquait de leur tomber dessus d'un instant à l'autre. Tout dépendait de l'attitude d'un seul homme.

Pour Basile, la situation n'était pas agréable non plus, bien au contraire. Après plusieurs années de colonie, il pensait avoir tout vu : les bagarres, les insultes, les adolescents qui s'embrassent derrière les douches en pensant être à l'abri des regards, ceux qui profitent des aérations de ces mêmes douches pour se rincer l'œil tandis que d'autres se rincent le corps, les guerres de clans et même le vol des clés du car par un petit rebelle insupportable. Mais tomber sur deux garçons en train de s'accoupler au sens le plus propre du terme, là, c'était une première.

Il ne jugeait pas. Il savait ce que ça pouvait être, le manque de femmes et la solitude, chose qu'un de ses grands-oncles avait vécu, jeune, au fin fond du Nunavut et dont il se ventait parfois lors des repas de famille. Après tout, il fallait bien faire avec ce qu'on avait sous la main. Mais là, le camp était quand-même plutôt bien garni en donzelles et rien ne justifiait de toquer à la porte de derrière d'un camarade du même sexe. Basile ne jugeait pas, mais la situation le préoccupait quand même. C'était un incident et, en tant que responsable, il devait agir pour qu'il ne se reproduise plus. C'était là son rôle de directeur. Alors, le soir, après la veillée et alors que les adolescents dormaient, il convoqua l'ensemble des moniteurs dans le réfectoire pour les mettre au courant de l'affaire et leur donner des consignes claires.

Ce qu'il voulaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant