85. Épilogue - Quand vient la fin de l'été

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De la musique classique. Dans son esprit, Cédric ne perçut que cette lente douceur qui le recouvrait et l'enlaçait. Les jours passaient sans qu'il n'arrive à les compter. Combien s'étaient écoulés depuis qu'il avait fermé les yeux ? Dix ? Vingt ? Mille ? La mort lui semblait être une étrange éternité. Et pourtant, une petite flamme continuait de bruler. Allongé dans un lit d'hôpital dans le service le plus silencieux de tous, il n'entendait que le bruit des violons qui n'existaient que dans sa tête et, parfois, la voix aimante de ses proches. Presque tous les jours, Sandra était venue lui parler. François avait profité du calme pour lui confier toutes ses peines et ses peurs. Suzanne lui avait embrassé le front à chaque visite. Et Kilian, à son chevet, n'avait fait que pleurer et pleurer encore. C'était bien son petit frère, ça ! Malgré ses seize ans révolus, il ne pouvait pas s'en empêcher. À chaque fois qu'il était venu le voir, il avait craqué, chouinant simplement parfois, partant dans un mélodrame le plus souvent. Il y avait une autre présence, aussi, que ressentait Cédric. Son cadet n'était jamais seul. Un garçon silencieux lui tenait toujours la main.

Et les violons, intenses, prenants et mélodieux jouaient toujours la même mélodie calme. Tout l'été, le jeune adulte le passa à dormir, bercé au rythme des notes. Fortement assoupi, Cédric avait perdu la notion du temps. Seuls les quelques cris stridents des cordes frottées arrivaient à suffisamment bouleverser son esprit pour lui faire prendre conscience que tout n'était pas rectiligne ni uniforme.

Il aurait bien voulu se réveiller. Il avait un voyage avec sa petite amie à préparer, des entrainements de boxe en retard, et puis... de nouveaux joggings devaient sans doute être arrivés dans la boutique préférée de son frère. Ils devaient obligatoirement y aller ensemble pour lui acheter de nouveaux vêtements. Kilian grandissait tellement vite. Un jour où l'autre, son blondinet de frangin allait le rattraper en taille, c'était sûr et certain. Et pourtant, malgré toute sa volonté, l'éveil refusait toujours de venir.

Jusqu'au dernier jeudi du mois d'août

Ce matin-là, Geneviève l'infirmière passait dans le service comme à son habitude. Quand ses amis lui demandaient son métier, elle répondait toujours « jardinière d'hôpital ». Cela faisait bien rire ses proches. Au moins, elle prenait le malheur qu'elle côtoyait au quotidien avec légèreté, pensaient-ils. Ils avaient tout faux. Ses patients, elle s'en occupait toujours avec la plus grande délicatesse. Elle leur parlait, elle les regardait et elle les traitait avec soin. Si elle préférait plaisanter sur l'état végétatif des malades, c'était avant tout pour rassurer les autres. Elle, elle s'occupait de ses rangées de lit silencieux comme du plus précieux de tous les potagers, ne laissant pas la moindre mauvaise herbe s'installer. De chaque pensionnaire de son service, elle connaissait le nom, le prénom et l'histoire. Pour les familles, elle était l'amie avec qui ils pouvaient partager leur peine et leur souffrance. Son plus grand talent était de toujours s'effacer et de ne jamais être trop présente, tout en veillant comme une mère sur ceux que leurs proches avaient abandonnés.

Ce n'était pas le cas de ce jeune Cédric, au visage doux et marqué. Geneviève avait pu voir à quel point il était aimé. Tous les jours ou presque, son amie, Sandra, était venue le voir. Il y avait aussi eu ce père profondément atteint, jusqu'à dans sa chair. Plus que tous les autres, il se sentait coupable. Coupable de ne pas avoir été capable de protéger son propre sang, coupable d'avoir tout raté. Le petit Kilian, comme elle l'appelait même s'il ressemblait plus à un beau jeune homme qu'à un enfant, était passé de nombreuses fois sans réussir à cacher sa peine. Devant sa détresse quotidienne et sa peur de manquer le réveil de son frère s'il partait en vacances, elle avait fait une entorse au règlement et lui avait glissé un papier au creux de la main comportant son numéro de téléphone portable. Tous les jours où il ne put venir, l'adolescent téléphona pour avoir des nouvelles de son frère, et tous les jours, l'infirmière lui répéta la même-chose.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now