32. Lutte de classe

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« Après le cours de mathématiques, vous êtes priés de rester en classe. Madame de Saint-Ferrand viendra pour procéder à l'élection des délégués. »

Profitant qu'aucun plan de classe n'ait été imposé pour le moment, Kilian s'était assis ce mercredi matin-là à côté d'Alia afin d'essayer d'enterrer la hache de guerre et procéder au rapprochement auquel il se sentait tenu. Il lui devait des explications, voire des excuses, ce qui était à ses yeux plus intéressant et urgent que l'apprentissage des fonctions affines. Le passage surprise de Monsieur Musquet, le CPE, en début de cours pour demander aux élèves de rester en place après la fin de leur torture mathématique hebdomadaire ne fut pas accueilli chaleureusement par la classe. Martin devait s'occuper de Yun-ah qui déprimait sans ses meilleurs amis, Kilian avait promis à Jean-Pierre de filer à la salle d'armes dès que la sonnerie aurait retenti, Alia avait prévu de rendre visite à sa grand-mère à l'hôpital et, au final, tous avaient une bonne raison de râler. À l'exception de Gabriel, bien sûr, qui s'amusait comme un petit fou à dessiner au tableau des courbes et des droites parfaites à main levée à la demande de Madame Marquez, prof de maths de son état, qui avait pleinement saisi tout l'intérêt d'avoir un jeune artiste talentueux à sa disposition pour ce genre de taches.

Kilian passa ainsi une grande partie de la matinée à chuchoter en direction d'Alia, qui, de son côté, faisait mine de lui en vouloir et le regardait à peine.

« Je sais qu'c'est pas cool c'que j't'ai fait cet été, le bisou comme ça, mais je n'voulais pas que tu me vois juste comme un de ces pédés que tu détestes, je suis plus compliqué que ça. Tu sais, j'ai pas de problème avec les filles, j'suis sorti avec deux nanas avant de me trouver un mec, et rien m'empêchera de recommencer ! De toute façon, Aaron et moi, c'est sans avenir, c'est fini même. Tant que môssieur sera coincé au pays de l'horlogerie, nos montres ont beaucoup plus de chances de se synchroniser que nos cœurs ! »

À ces mots, l'adolescente ne put s'empêcher d'afficher un léger sourire, même s'il était impossible pour Kilian de déterminer s'il était signe de sympathie ou de mépris. La réponse qu'elle lui envoya en pleine poire chassa immédiatement ses doutes.

« Oh c'est triste... Le p'tit pédé est fâché avec son copain. Tu l'aimes plus et tu cherches du réconfort dans les bras d'une fille ? T'as raison, les femmes, elles adorent ça, les tapettes. Enfin, presque toutes, car moi, je ne supporte pas ! Fous-moi la paix Kilian, vas faire ton mignon auprès des autres ! Tu savais que Juliette et Samantha te trouvaient super beau et craquaient pour toi ? T'as la moitié des nanas de la classe qui passent leur journée à regarder ton cul en imaginant toutes les saloperies que tu peux faire avec, pourquoi tu viens me faire chier moi ? »

À la réflexion, les gifles qu'Alia lui avait balancées à la tronche cet été étaient bien moins douloureuses que les mots qu'elle lui adressait présentement. À Voltaire, personne n'ignorait que Kilian était d'un bord particulier. Le bordel qu'il avait foutu avec son petit copain en troisième était remonté jusqu'au lycée et à la salle des profs. Alors, dès le lendemain de la rentrée, quand la rumeur avait commencé à circuler, il avait jugé bon de clarifier certaines choses pour ne pas revivre certaines scènes désagréables. Oui, il était bien sorti avec un garçon qui, malheureusement, avait dû déménager. Chacun était libre d'en tirer ses propres conclusions à partir du moment où on lui foutait la paix. Le regard méchant de Martin et de Gabriel envers le premier garçon qui s'était risqué à une blagounette suffit à calmer toutes les ardeurs. Seules restaient les messes basses des filles attendries devant cette douceur, cette beauté et ce postérieur secret qui devait avoir tant de choses à raconter. Kilian laissait parler. Récolter les câlins des donzelles attendries qui avaient envie de le croquer et qui rêvaient de s'en faire un ami ou un confident était loin d'être un supplice. C'était là tout le paradoxe de ces demoiselles en chaleur qui craquaient pour un animal dans les bras duquel elles ne risquaient théoriquement presque rien. Dépitée, Alia ne pouvait que regarder ces scènettes en silence. Après tout, elle ne voulait pas mettre de l'huile sur le feu, tout juste étrangler l'adolescent qui l'avait offensée avant d'enfin pouvoir passer à autre chose.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now