47. Honneur et tendresse

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Transpirant, Kilian se saisit de son réveil. Il n'était même pas six heures du matin. Dire qu'en semaine, il n'arrivait jamais à se réveiller et rechignait toujours à se lever. Et là, il avait envie de se taper la tête contre un mur pour s'endormir à nouveau jusqu'à l'arrivée d'Aaron, prévue seulement pour les dix heures et demie. Plus le moment de leurs retrouvailles était proche, plus il trouvait le temps long. Et en se retournant dans tous les sens dans son lit, il trouva que chaque minute durait des heures et chaque heure des années. La tête posée de travers sur son oreiller, il regardait l'aiguille des secondes avancer par à-coups, et entre chaque déplacement de cette dernière, il avait l'impression de pouvoir compter jusqu'à mille. Son brunet devait encore dormir. Il devait prendre la route vers les neuf heures, avec un cousin. À vol d'oiseau, les deux amants étaient presque voisins. Et pourtant, une montagne les séparait.

Pour essayer de se rendormir, Kilian commença à compter les moutons et les poulets. Il aimait bien les laineux, mais n'appréciait pas cette ségrégation injuste entre les différents animaux de la ferme. La méthode fut, au final, assez peu efficace. Les différents volatiles présents dans son esprit avaient tous des plumes brunes et un air qui lui rappelait son amoureux. En fait, en guise de volailles, il comptait les Aaron miniatures, et plus que de lui donner sommeil, cela excita son corps et son âme et lui ouvrit l'appétit. S'il adorait les cuisses de poulet pannées qu'on servait dans certains restaurants à la mode du Kentucky, il préférait de loin celles fermes et blanches de sa petite panthère. Bien sûr, ces dernières ne se mangeaient pas et ne risquaient pas de lui péter le bide, mais quand il y laissait courir ses lèvres et sa langue, elles excitaient ses pupilles gustatives plus que nul autre met. Très rapidement, trop occupé à imaginer qu'il était une brebis en pleine basse-cour prête à être saillie par le plus beau de tous les béliers, il en arriva à laisser glisser ses doigts de part et d'autre de son bassin, avant de se ressaisir. S'il se tirait trop sur le machin en cette heure prématurée, il y avait une chance même infime qu'il n'ait plus envie de jouer quand le moment propice serait venu. Il avait le devoir de se réserver pour le garçon qu'il aimait et aussi celui de le laisser décider de l'instant opportun pour se faire tirer la sève, même si l'attente était douloureuse. Et le temps ne passait pas... Alors, il songea péniblement à ce qu'il avait fait de sa semaine. Il n'était pas retourné à l'escrime, officiellement parce qu'il était fatigué à cause de sa compétition perdue. La vérité était plus amère. Il souhaitait ne plus jamais remettre les pieds sur la piste, ne plus jamais enfiler sa belle tenue blanche et ne plus jamais tirer les armes. Il prendrait sa retraite sur une défaite, une humiliation et une tentative de viol. Cette décision avait beau être égoïste, il ne voyait pas bien qui pouvait le faire changer d'avis. Jean-Pierre, son maitre d'armes, l'avait toujours traité à la dure pour son bien mais avait omis de lui apprendre comment se défendre contre les agressions d'autres sportifs plus âgés. C'était stupide, s'il lui avait appris à se battre plutôt que l'art de faire des pompes, peut-être que rien de tout cela ne serait jamais arrivé. Bien sûr, annoncer la nouvelle à Cédric semblait compliqué. Une simple défaite en finale contre quelqu'un de meilleur que lui ne pouvait pas justifier l'abandon d'un sport qu'il chérissait comme la deuxième plus grande passion de sa vie après les yeux noirs d'un exilé Suisse. Kilian n'avait pourtant pas la moindre envie d'expliquer à son grand frère ce qui lui était arrivé et ce qui, par la même occasion, justifiait pleinement sa décision. Tant pis, il passerait pour un petit égoïste frustré sans couilles. À la réflexion, des roustons, il n'en avait pas tant besoin que ça, tant que ceux de l'amour de sa vie étaient intacts et que ce dernier l'autorisait à les caresser et à les embrasser dès qu'ils se voyaient. Lui, il pouvait très bien se faire châtrer. Au moins, les choses seraient bien plus claires. Ainsi émasculé, il pourrait parfaitement être la caricature que tout le monde semblait vouloir qu'il soit, il ne monterait plus stupidement sur ses grands chevaux pour défendre sa virilité qui ne lui servait qu'à se couvrir de ridicule et il abandonnerait Alia à Adan, de quoi apaiser ses relations avec son délégué. De toute manière, se faire couper les couilles devait forcément être moins douloureux que de se faire prendre Aaron. On avait déjà castré son cœur à deux reprises, fin mai et début août, alors les roubignoles, pour ce que ça lui servait à présent... Enfin, seulement après les vacances, le ciseau, hein ! Il fallait bien qu'il profite une dernière fois des bienfaits de sa masculinité avec son petit brun avant la prochaine séparation prévue pour durer jusqu'en février, soit l'éternité et quelques jours aux yeux d'un pauvre blondinet épris et malheureux.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now