Ce qu'il voulait

By BaptisteCQA

16.7K 1.8K 1.7K

Kilian, quinze ans, vient de passer son brevet et entre bientôt au lycée. Derrière lui, il laisse son premier... More

Prologue - Je m'appelle Kilian, j'ai quinze ans, je suis amoureux d'un garçon
2. En avant pour la compétition d'été !
3. Un nouveau jogging
4. À compétition nationale, niveau national !
5. Les Campanules
6. Sport & Fun, le retour
7. Premières tensions estivales
8. Le collier
9. Journée libre au camp
10. Ne pas tomber...
11. Pour quelques tours de piste...
12. Déclaration de guerre
13. Vélo, rando et nœud au cerveau
14. Le samedi, c'est piscine !
15. « Je veux mon gage ! »
16. À en écorcher son québécois
17. Visite à la mère
18. Quand une petite peste s'en mêle
19. Craquage de slip carabiné
20. Le prix des larmes
21. La vengeance est un plat d'altitude
22. Guillaume
23. Les juges condamnent, les hommes pardonnent
24. Camping animal
25. Olympiades et Kilianiaiseries
26. Le bal de l'été de ses quinze ans
Partie 2 - Une nouvelle année - 27. Fin du camp, fin des vacances
28. Premières heures au lycée Voltaire
29. À la découverte de la 2nd2
30. La rentrée d'Aaron
31. Début de chemin l'un sans l'autre
32. Lutte de classe
33. Amours croisés
34. L'anniversaire de Gabriel
35. Un félin dans le viseur
37. Autumn is coming
38. Un jeudi soir au service de l'art
39. Confiance
40. L'attirance est-il un péché mortel ?
41. Être deux à souffrir
42. Sous pression
43. Sohan
44. Purification par l'eau d'un corps meurtri
45. Vous avez un nouvel e-mail
46. Pourquoi ?
47. Honneur et tendresse
48. Dix-huit ans !
49. Ciné, piscine et bubble-tea
50. Melopoeia
51. Au moment du dessert, on sonna à la porte...
52. La naissance de Kilian
53. Sacrifice
54. « T'es trop zentil... »
55. Un mois de novembre
56. Manœuvres et jalousie
57. Rouquin en crise
58. Les arbres nus font le paysage de décembre
59. Noël glacial, Noël brulant
60. Justin
Partie 3 - Un nouveau choix - 61. La lettre
62. Ciguë
63. « Si tu m'aimes... »
64. Les excuses d'un adolescent loin d'être désolé
65. Fini ?
66. Les dérives d'un amour paternel
67. « Dis-le »
68. Hallucination canine ?
69. La preuve par deux
70. Une page se tourne
71. L'acharnement d'un petit blond
72. Affection enneigée
73. Dilemmes et jours qui passent
74. Dans le bureau du juge
75. Poissons entre parenthèses
76. Le dernier cadeau de Justin
77. Volonté contre justice
78. La décision
79. Assumer
80. Bonheur
81. P'tit pédé au grand cœur
82. Sur la route de Milan
83. Enfin, le retour.
84. Ce qu'il voulait
85. Épilogue - Quand vient la fin de l'été

36. « Dessine-moi un Kilian ! »

211 18 35
By BaptisteCQA

« Bien, prenez vos livres à la page trente-sept. Nous allons commencer le chapitre sur la citoyenneté et la démocratie à Athènes ! Par contre, je m'excuse, mais le rectorat refuse que j'aborde le sujet sous le prisme des préférences sexuelles des gens de l'époque. Pourtant, c'est passionnant. Saviez-vous que les Athéniens n'avaient pas de mots pour homosexuel et hétérosexuel ? En effet, c'était inutile ! Ils considéraient l'homme comme naturellement bisexuel. Pour eux, avoir une préférence pour l'un ou l'autre genre n'était pas un élément assez important pour qu'on le nomme ! Je suis sûr que certains d'entre vous se seraient éclatés à l'époque ! Bon, je vais arrêter là, j'en vois un qui rougit et cela risquerait de me poser problème pour mon avancement si l'inspecteur apprenait que je vous ai parlé de ces légers détails de l'Histoire ! »

L'adolescent qui voyait son visage prendre une teinte ocre devant le discours amusé du professeur était blond, avait aussi de beaux yeux verts plus brillants que des émeraudes et trouvait particulièrement détestable d'être ainsi taquiné en plein cours par un adulte. Même s'il aimait bien Hervé Bruissière, son professeur principal en troisième qui enseignait aussi les sciences humaines au lycée, Kilian aurait sans doute préféré que ce dernier ne passe pas la moitié de ses cours à faire des références douteuses à sa prétendue homosexualité. Bon, forcément, après le bordel que le blondinet avait foutu l'année dernière avec Aaron, son orientation sexuelle était devenue un secret de polichinelle, mais plus Bruissière essayait de faire de l'esprit en se montrant compréhensif et amical, plus il était lourd. Et là, il était encore pire qu'un pachyderme, à tel point que le blondinet ne put s'empêcher de grommeler devant certaines insinuations malodorantes en contractant la mâchoire et en infléchissant les lèvres. De son côté, comme s'il était passionné par le sujet, Gabriel leva la main pour poser une question.

« Dites, et quand on était ado, à Athènes, on avait le droit de se taper des vieilles ? Nan parce que bon, s'il existait une société où Kilian aurait eu le droit de faire ce qu'il voulait, je réclame la même chose pour tous les jeunes branleurs de mon âge qui se font des films devant des vidéos pornos sur le net ! Nan mais c'est vrai, quand t'es ado et que tu regardes un boulard, elles ont toutes au minimum dix-huit piges ! Et encore, je parle pas de la mode des cougards ou des milfs ! C'est super swag à notre époque ! »

La classe toute entière explosa de rire et certains élèves, même, se levèrent pour applaudir Gabriel et sa sortie foireuse. Seuls deux personnes semblaient ne pas du tout apprécier la blague. Le premier, c'était Kilian qui marmonnait dans sa barbe qu'un jour, ça serait sympa qu'on arrête de lui foutre la honte comme si c'était un jeu de le prendre pour exemple dès qu'on parlait de libération sexuelle. Il était blond, légèrement impudique et profondément immature, il n'avait besoin de personne pour se taper l'affiche, il savait très bien comment se ridiculiser tout seul sans qu'on l'aide. Le second, c'était Hervé Bruissière. L'adulte ne savait quoi répondre aux interrogations de son élève. Déjà parce qu'il n'avait pas forcément la réponse à cette question hors programme, ensuite parce qu'il avait l'impression d'être tombé dans son propre piège à aborder des sujets légers avec ses lycéens, et il n'aimait pas cela du tout. En plus, il ne comprenait même pas la moitié de ce que racontait Gabriel. Et il était bien le seul, ce qui l'énervait encore plus.

« Et je pourrais savoir ce qu'est une... milf, par hasard ? », demanda-t-il naïvement, renversant de fait les rôles de professeur et d'apprenant.

Gabriel tourna la tête à gauche en espérant capter quelques regards puis, affalé sur sa chaise, il leva les bras au ciel, désigna clairement un de ses camarades du menton et donna sa propre définition du terme.

« Bah, j'crois que si vous demandez à Adan, il vous répondra que ma mère en est une ! J'm'en fous, elle est bonne ma mère, j'vais pas reprocher à Monsieur notre délégué d'avoir bon goût, c'est p'têt sa seule qualité ! Mais cherchez pas les mecs, elle est prise ! Et puis, une prof, j'vous l'conseille pas, vous savez pas ce que c'est que d'en avoir une à la maison ! »

Malgré ces explications, Hervé Bruissière n'était pas plus avancé. Et maintenant, il se retrouvait avec plusieurs problèmes à gérer en même temps. La classe était complètement dissipée ; plusieurs garçons débattaient avec Gabriel à propos de la taille de bonnet de sa prof principale de mère ; Adan, mouché et vexé, semblait avoir envie de commettre un meurtre sans en avoir le courage et Kilian boudait seul dans son coin, la tête tournée contre le mur, comme il le faisait depuis la sixième à chaque fois qu'il se tapait une mauvaise note ou qu'on l'embêtait. Heureusement, la cloche salvatrice retentit au moment précis où Hervé semblait définitivement perdre pied. Quelques secondes plus tard, la salle était vide. Dans la cour carrée au centre du bâtiment et vêtu d'une doudoune rouge qui lui tenait bien trop chaud en cette fin d'été, Kilian abreuvait de reproches le camarade aux cheveux châtains qui avait osé le citer nominativement. Déjà que Bruissière lui avait foutu la honte en le regardant fixement comme un abruti au moment de son discours sur la libido des anciens Grecs – chose dont il se foutait éperdument, n'étant lui-même pas Grec et encore moins ancien –, si en plus Gabriel s'y mettait à son tour... Ah, merci les copains, hein !

Cette réaction irrita un peu le jeune artiste aux yeux bleus, qu'il avait fort jolis, d'ailleurs, de l'avis même du blondin qui adorait s'y mirer. Kilian était parfois adorable avec ses réactions disproportionnées, mais quand il refusait de réfléchir, cela devenait très vite fatigant.

« Mais t'es con ou quoi ? T'as pas pigé que j'ai posé cette question juste pour le faire chier et pour qu'il arrête de t'embêter ? C'était une diversion, Kil ! Une diversion ! Au final, tout le monde ne parle plus que de ma mère et d'Adan qui la regarde un peu trop pour un élève ! J'te jure, s'il continue à lui reluquer les nibards comme ça en français, il passera pas l'hiver, c'connard ! »

Après quelques secondes de réflexion, Kilian eut comme une illumination qui le poussa à ouvrir grandement la bouche. Il se sentait un peu piteux de s'être emporté contre son camarade, et cela se voyait. Persuadé que de simples excuses ne suffiraient pas à se racheter auprès de Gabriel, qui le regardait d'ailleurs avec un sourire sadique comme s'il voulait se payer directement sur la bête, le blondinet baragouina quelques justifications confuses avant de détourner la conversation vers un tout autre sujet. Après tout, maintenant qu'il avait réussi à choper Koa, il pouvait annoncer fièrement au petit châtain la bonne nouvelle qu'il avait gardée depuis le dimanche précédent dans sa besace. Dans les faits, ce fut plutôt de manière un peu gauche qu'il l'informa des suites qu'il comptait donner à sa requête du week-end : sa main droite grattouillant l'arrière de sa tête et ses pommettes roses trahissaient sa gêne.

« Aaaaah, ah mais ouais mais j'avais pas compris moi ! Ah, et sinon, Aaron a dit oui... enfin... pour le truc là, te servir de modèle... Il est d'accord que je le fasse, alors, bah voilà quoi... Si Aaron veut bien hein, j'vais pas refuser, ça se fait pas de dire non quand un copain demande un service... Enfin, j'crois... »

En entendant cette information réjouissante, Gabriel sourit et commença à passer ses doigts ronds sur le visage et par-dessus les vêtements amples de son camarade, comme s'il voulait s'assurer que le bestiau qu'il venait d'acquérir répondait bien à toutes ses attentes. Cette réponse, il l'attendait avec impatience depuis plusieurs jours déjà. Il ne lui avait pas fallu longtemps avant de comprendre qu'elle serait positive, juste patienter le temps que Kilian se décide enfin à franchir le pas. Un peu gêné par ces attouchements en public, le blondinet n'osa cependant pas s'en plaindre. La réaction de Gabriel analysant à la volée certaines de ses mensurations comme son tour de poitrine et la longueur de ses bras était plutôt amusante. Il avait l'impression d'être au centre de l'attention, et ce n'était pas désagréable.

« Bon, le lundi, j'vais au conservatoire ! Le mardi et le vendredi, j'ai mes cours du soir à l'atelier, et le mercredi et le samedi, j'ai entrainement et match de hand ! Et toi, t'es pris aussi le mercredi aprèm et plusieurs soirs dans la semaine avec ton escrime, donc en gros, il reste plus que le jeudi ! On commence ce soir ? On finit les cours à seize heures... Le temps de faire les devoirs pour être pénard... tu viens chez moi vers dix-huit heures trente ? T'en fais pas pour la bouffe, j'commanderai des pizzas ! Et si t'as encore faim, on mangera le chat, faut bien qu'il serve à quelque chose cet ingrat ! Et puis c'est cool le jeudi, ma reum est chez son amant, donc j'ai l'appart pour moi ! »

Le blondinet blêmit. Il ne s'attendait pas un seul instant que la première séance arriverait si vite. Il pensait avoir le temps de se préparer moralement. Là, la messe semblait déjà dite, il était fait comme un rat, prisonnier de Gabriel, de ses délires et de ses désirs artistiques. Il ne le contesta même pas. À quoi bon ? Si Aaron avait accepté qu'il se sacrifie sur l'autel de l'art, pourquoi donc lutter contre ce destin en cherchant à en reculer l'échéance ? Il ne lui restait plus qu'à baisser la tête.

« Heu, ouais... okay, mais le dit à personne hein, ça serait trop la honte... J'veux dire, poser nu pour un mec, ça fait un peu tapette... »

Gabriel éclata de rire. Venant de Kilian et sachant tout ce que ce dernier avait subi à cause de son amour irraisonné pour un garçon, c'était caustique.

« T'en fais pas, à part Martin avec qui j'ai discuté de l'idée avant de te demander, personne ne le sait ! Et te prends pas le chou à cause de ce que pensent les autres, ils ne comprennent rien à l'art.

Vers dix-huit heures vingt, Kilian arriva devant l'appartement de son camarade et attendit une dizaine de minutes dehors avant de sonner, de peur de déranger à cause de son avance. Toute l'après-midi, il l'avait passée à se questionner sur ce que Gabriel allait bien pouvoir lui faire et lui demander, et sur comment cette séance allait se passer. Sa nudité, il l'avait toujours vécue comme quelque chose de naturel. Au fil du temps, c'était même devenu une arme qui lui permettait de revendiquer ses différences et sa personnalité. Pour la première fois, il la mettait au service d'une cause plus noble que sa petite personne. Cela l'impressionnait et le rendait anxieux. Surtout, il avait peur de décevoir. Et si Gabriel n'arrivait pas à le dessiner ? Et si la magie n'opérait pas ? Et s'il gigotait au point d'énerver l'artiste ? Et s'il n'était pas assez beau pour un tel exercice ? Bien entendu, il se trouvait mignon et plutôt bien foutu pour son âge, mais il restait un garçon. Gabriel, lui, avait l'habitude de dessiner des femmes, des vraies, des adultes.

« Ah, te voilà enfin ! Je t'attendais, tout est prêt, monte et mets-toi à ton aise, j'arrive ! »

Dès que le châtain lui ouvrit sa porte, Kilian entra dans le petit appartement qu'il découvrait dans une configuration normale pour la première fois, jeta un coup d'œil à gauche et à droite pour s'assurer qu'il ne gênait personne d'autre que le chat affalé dans le canapé, puis grimpa l'échelle qui menait à l'étage avant de pénétrer dans la petite pièce de Gabriel. Ce dernier l'avait rangée et avait poussé dans un coin tout ce qui trainait au sol. Au milieu, la chaise et le chevalet de l'artiste étaient en place, prêts pour ce qui allait suivre. Un peu plus loin, le clic-clac déplié était recouvert d'un drap blanc et d'une multitude de coussins. À côté, sur une table basse ronde, un verre de lait et des biscuits avaient été déposés. Gêné, Kilian s'assit pour attendre son camarade sans même penser à enlever son blouson rouge qui masquait les vêtements propres qu'il avait enfilés juste avant de venir, après une douche express. Même si cela semblait stupide vu ce qui l'attendait, Kilian n'avait pu se résoudre à remettre ses fringues du matin, pensant qu'il devait un certain effort vestimentaire à l'artiste peintre. Quand Gabriel arriva à son tour, une bouteille de coca dans la main droite et une petite chaine hi-fi dans la gauche, il s'esclaffa, presque hilare.

« Nan mais sérieux, Kil, ça va pas le faire si tu restes en blouson ! Allez, vire-moi tout ça, et rougit pas trop, j'vais te dessiner au fusain ce soir, c'est que du noir et blanc ! Si t'as faim et soif, tu te sers, c'est pour toi ! Une fois à poil, tu t'allonges sur le lit sur le flanc, la tête sur le gros oreiller et le ventre face à moi. Si j'ai besoin, j'te demanderai de prendre une autre pose. Toi, évite juste de trop bouger. Je fous un fond musical, si ça te gêne, tu le dis. On peut discuter si tu as envie, mais ne te sens pas obligé de parler à tout prix. Surtout, décrispe-toi, j'ai vraiment besoin que tu sois le plus détendu possible ! Si t'as des questions, pose-les, j'y répondrai. Les pizzas arrivent à vingt heures trente, ça nous laisse deux heures devant nous, j'pense que c'est une bonne durée pour une première fois, sinon après, tu vas avoir des courbatures. Si ça te dit, les prochaines, on pourra aussi faire une session après bouffer en variant les pauses. »

Tout en parlant, l'artiste avait branché son téléphone sur ses enceintes et avait lancé sa playlist préférée avant de se mettre en place. Kilian, lui, commença l'effeuillage qu'on lui imposait, en débutant par le haut, puis le bas avant de se retrouver simplement vêtu de son boxer préféré dont la teinte violette très marquée contrebalançait avec celle rose de son visage. Après quelques secondes d'hésitation, il pensa à la promesse faite à Aaron de lui montrer tous les dessins. En baissant la tête, il laissa tomber à ses chevilles la dernière pièce de tissu qui protégeait sa chair. C'était la première fois depuis la cinquième que Gabriel le voyait nu. Le blondin en avait conscience, il avait changé. Son corps était très clairement celui d'un adolescent. Son intimité aussi.

C'était plus fort que lui, il n'arrivait pas à s'empêcher de trembloter. Même ses yeux semblaient prêts à se gorger de larmes. Réalisant l'embarra de son modèle, l'artiste se leva et l'attrapa pas le poignet. Sans un mot, il le déposa sur sa couche et le positionna comme il le souhaitait, non pas sans laisser ses mains expertes se balader ici et là pour mieux ressentir les muscles et les os. Surpris, Kilian se laissa faire. Il ne pensait pas vraiment avoir son mot à dire. Être manipulé comme un simple objet aphone ne lui déplaisait pas. Au contraire même, il avait l'impression d'être une chose fragile qu'on utilisait avec soin. Et pourtant, son visage était plus que jamais près de l'explosion. S'en rendant compte et pour dédramatiser l'instant, Gabriel lui expliqua avec un ton rassurant l'importance de l'étude de la morphologie humaine, lui parla des nus de Degas et lui promit de lui montrer des croquis anatomiques de Léonard de Vinci, puis retourna s'assoir derrière sa toile et se mit à dessiner en sifflotant.

Légèrement recroquevillé sur lui-même, Kilian s'autorisa à fermer les yeux tant que son camarade ne le lui interdisait pas. Après plusieurs dizaines de minutes sans bouger et à parler de quelques sujets sans importance, il remarqua qu'il se sentait plutôt bien. La température dans la pièce était agréable. Il n'avait ni trop chaud, ni trop froid. Si Gabriel avait souvent dessiné son visage, c'était la première fois qu'il reproduisait son corps. L'adolescent avait hâte de voir le résultat. Sans savoir pourquoi, il accordait une confiance presque infinie à son camarade. Ainsi dévêtu, il était à sa merci, il lui appartenait presque. Seul son collier qu'il avait gardé autour du cou indiquait le nom de son vrai propriétaire, celui qui avait accepté de le prêter à l'artiste. C'était étrange, avec sa main droite recroquevillée sous sa joue, l'autre le long du corps, son torse à l'air, son intimité même pas voilée et ses jambes étendues sur le drap, il était comme un animal abandonné prêt à être mangé. Et pourtant, Gabriel ne le dévorait que du regard, sans que ne se dessine la moindre envie ni le moindre désir qui ne soit purement artistique. L'espace de quelques instants, Kilian s'imagina ce qui aurait pu se passer si Gabriel s'était jeté sur lui pour abuser de son corps et de son âme. Cela aurait pu être parfaitement bestial. Cela le pouvait toujours, d'ailleurs. Et si l'esthète lui demandait de prendre des poses plus érotiques ? Et s'il l'effleurait, comme Aaron savait si bien le faire ? Et s'il allait encore plus loin, avec ses mains d'expert, connues pour être si douces au toucher ? Et s'il lui prenait une partie de sa dignité ? Après tout, rien ne l'en empêchait. Au contraire même, le blondinet se sentait incapable de bouger et de protester, comme s'il était prisonnier de ce drap blanc sur lequel il était allongé. Sans qu'il ne s'en rende compte, ses pensées se matérialisèrent dans son esprit, ce qui se traduisit par quelques tremblements, par le recroquevillement de ses doigts sur eux-mêmes et par un afflux sanguin fugace qu'il ne remarqua même pas. Alors que son visage souriait d'apaisement, comme si les questions qu'il se posait lui faisaient plus de bien que de mal, il sentit l'éveil le quitter, puis sursauta en entendant la sonnerie dans l'entrée.

« Ah, les pizzas sont là ! Tu peux te rhabiller et descendre, j'vais ouvrir au livreur ! J'ai pris bianca regina pour toi, j'avais le souvenir que t'aimais bien ça ! Enfin, j'avais surtout le souvenir que tu aimes bien tout, tant que ça se mange et qu'il y a de la crème... Et il parait que c'est plus que jamais le cas. »

Timidement, sans vraiment comprendre les références douteuses qui, en d'autres circonstances, l'auraient fait bondir au plafond, Kilian se frotta les yeux, but une gorgée de lait qui hydrata sa gorge asséchée et enfila son caleçon et son pantalon. Il n'avait même pas vu le temps passer. Au final, il avait vraiment eu peur pour rien, tout s'était passé de la meilleure des façons et il avait pris plaisir à poser pour sa première fois. Et quand ses yeux tombèrent sur les quelques esquisses qu'avaient réalisées son camarade, il les écarquilla. Même si ce n'était pas parfait, il trouvait le résultat magnifique, beau, brillant, doux et même grandiose. Sur une feuille, Gabriel s'était arrêté sur son visage assoupi. Sur une autre, c'était sa main qui était représentée. Sur la suivante, son corps allongé était entièrement dessiné, y compris cette touffe dorée au-dessus des cuisses et ce qu'elle protégeait. D'ailleurs, Kilian ne put s'empêcher de remarquer que l'artiste avait été d'une précision presque chirurgicale. Enfin, à même le chevalet, il aperçut une dernière page qui se focalisait sur son nombril et les zones alentours. Étrangement, seule manquait la partie la plus sensible de son intimité, ce qui ne manqua pas de le surprendre. Après tout, on la retrouvait bien sur d'autres dessins. L'explication que Gabriel, de retour dans la pièce, lui glissa à l'oreille le rendit plus rouge que la plus mure de toutes les tomates.

« J'ai pas voulu dessiner ta petite bosse hein, ça l'aurait pas fait, j'préférai attendre que ça retombe, mais sur la fin, je sais pas à quoi tu pensais, mais ça voulait pas partir. Enfin j'm'en fous, moi ça me dérange pas, ça aussi faudrait que j'apprenne à le dessiner de toute manière, ça ne peut pas m'faire de mal ! »

Continue Reading

You'll Also Like

7.9M 336K 82
Kathleen, une jeune fille qui va tenter de se suicider pour avoir perdu son unique amour, Chris. Mais, au dernier moment, un homme mystérieux à son r...
5.5M 89.5K 36
~pile, tu es à moi, face, je suis à toi~ « Ce mec c'est... le mal incarné. Et le roi du lycée. Son pote et lui sont tout sauf fréquentables. Ils se b...
408K 3K 3
« Tempête. Dès que j'ai ressenti les premiers tremblements de mon corps, j'ai réalisé que tu étais ma destinée. Tu t'es infiltré partout en moi, à un...
92.3K 15.1K 78
Le Capitaine Arsène Flamingo, un personnage charismatique et un chouia narcissique, dirige son vaisseau dans des aventures toujours plus absurdes et...