▬ Chapitre 89 : Thomas Shelby.

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   26 mai 1926, 7h20.

   Arrow House, Birmingham.

- Mon Dieu, Tommy...

   Et voilà, tout ce qu'il ne voulait pas : il entend de la pitié dans la voix d'Alma.

   Le temps de raconter son récit, il s'était éloigné d'elle pour aller s'adosser contre le rebord de la fenêtre. Elle était restée plantée au milieu de la chambre de Charlie, les bras croisés devant elle.

- Il y avait quelque chose dans le cocktail, ou bien? devine-t-elle d'une petite voix.

   Oui, il y avait quelque chose. Quelque chose de pire que de la cannelle - et ça veut dire ce que ça veut dire : de l'adonide.

   Thomas Shelby hoche la tête, une seule fois, le regard dans le vide.

   C'est la première fois qu'il répond positivement à cette question. Lorsque Polly lui avait demandé la même chose, il y a des années de cela, il n'avait rien pu dire - désormais, il peut hocher la tête, une seule fois. 

   Il n'arrive pas à regarder Alma, mais devine sans aucune difficulté la pitié qui doit se lire sur son visage - la même pitié qu'affichait Polly, à l'époque.

   Sauf qu'avec Alma, c'est encore pire. Il ne veut pas qu'il ait pitié de lui - ne peut pas physiquement supporter l'idée qu'elle puisse avoir pitié de lui.

   Thomas Shelby n'est pas naïf au point de penser qu'en lui racontant cet épisode tragique, Alma finirait par tout lui pardonner et lui retomber dans les bras. Non, ce qu'il voulait, à travers cette confession...

- Tu peux m'accuser de beaucoup de choses, articule-t-il le plus neutrement possible, dont je suis probablement coupable pour la majorité. Mais tu ne pourras jamais m'accuser de ne pas t'avoir aimée assez, parce que... (Pause, le temps de contrôler le léger tremblement de sa voix.) Tout s'est cassé, cette nuit-là. J'avais presque tout - j'étais à deux doigts de t'avoir toi, de nouveau, mais tout était trop beau pour être vrai.

- C'est pour ça que je n'ai jamais reçu de lettre de ta part? murmure-t-elle presque. A cause de ce qui s'est passé à cette soirée?

   Tout est si compliqué. Il aimerait pouvoir lui fournir une explication simple, logique, censée, mais il n'en a aucune à lui donner.

- Comme dit, j'avais prévu de t'envoyer une lettre le lundi suivant. Mais après cette nuit du vendredi, je... (Il cligne des yeux, en profite pour survoler rapidement Alma du regard sans parvenir à maintenir la connexion plus longtemps que cela.) Ca me tue d'avoir à dire ça, mais : tu sais comment fonctionne l'adonide, Alma. Tu sais que dans les jours qui suivent son administration, on est... on n'est pas conscient d'avoir été drogué. On a simplement le sentiment d'avoir agi exactement comme on voulait agir, d'avoir fait exactement comme on voulait faire parce que tout semble avoir été beaucoup trop beau pour que cela puisse avoir été la conséquence d'une substance externe, tu vois?

   Alma n'a pas besoin d'acquiescer pour qu'il sache qu'elle voit très bien de quoi il parle. Après que Sommer ait tenté de s'en prendre à elle, c'était ça qui lui faisait le plus mal à voir : voir comment Alma s'est excusée de presque l'avoir trompé, comme si elle en avait le moindre pourcentage de faute.

   Il se demande si, comme lui, elle a toujours encore du mal à s'en persuader lui-même. Parfois, il a envie de la serrer dans ses bras, si fort qu'elle se plaindrait probablement d'être proche de l'étouffement, et de lui dire : ce n'est pas de ta faute, Alma.

- Donc j'étais là, samedi matin, dans un lit avec une duchesse nue. Te dire que je n'ai pas compris ce qui venait de se passer est un putain d'euphémisme. Je... 

Thomas Shelby » Peaky BlindersWhere stories live. Discover now