▬ Chapitre 26 : 1916.

1.6K 112 14
                                    

   14 octobre 1916, 10h00.

   Bataille de la Somme, France.

   Hôpital de la brigade St. John.

   Depuis la fin du mois de septembre, les affrontements sur le champ de bataille se font plus rares. Ou en tout cas, c'est ce qu'on leur a dit.

   Car à l'hôpital de la brigade St. John, les blessés continuent à affluer à toutes heures de la journée et de la nuit. Certes, ils ne sont pas livrés par camions entiers comme ce qui était le cas lors des jours de grands combats, mais des hommes blessés, démembrés, à moitié morts ou décédés durant le trajet continuent d'occuper tous les lits du bâtiment principal et les couchettes aménagées dans une grange non loin.

  Pendant ses heures de travail, Alma ne peut s'empêcher de garder un œil sur les nouveaux arrivants, en priant pour ne pas y croiser le visage familier de Thomas Shelby, ni d'un de ses frères. Parfois, elle croit en reconnaître un au loin allongé sur un brancard et s'en veut du soulagement qu'elle éprouve en voyant qu'il s'agit d'un inconnu, qui ne mérite pas davantage ce qu'il lui arrive. Et chaque soir, elle vérifie sur le registre des patients que le nom Shelby ne s'y trouve nulle part.

   Deux semaines après leur départ, il n'y est pas. 

   Ce qui peut signifier deux choses : soit monsieur Shelby est en vie et se porte physiquement bien, soit il est mort. Une troisième option voudrait qu'il ait été pris prisonnier par les forces ennemies, mais l'ambiance n'a pas l'air d'être aux prisonniers. «Tuez tout ce qui ne porte pas la même uniforme que vous » semble davantage être le mantra de ces dernières semaines.

   En particulier pour ceux qui font, comme les Shelbys, partie d'une division de tunneliers. 

   Il y a quelques jours, un tunnelier est arrivé à l'hôpital avec les deux mains arrachées. Avec une amputation correctement réalisée, il aurait peut-être eu une chance de survivre, mais le médecin était occupé à réaliser une autre opération et le malheureux a succombé à ses blessures. Un soldat l'ayant accompagné - lui-même hospitalisé à cause de la gangrène, qui lui a valu une amputation de sept orteils dont il se remettra probablement - a été plutôt bavard et Alma a écouté avec plus d'attention que d'habitude ce qu'il racontait.

   Car il racontait la vie dans les tunnels. 

- Notre rôle, commença-t-il, c'est d'agrandir des tunnels que les français ont d'jà construits. Alors quand je dis «tunnels», c'pas vraiment des tunnels, on dirait plutôt des trucs creusés par des rats que par des hommes. Jésus... (Il a fermé les yeux de douleur tandis qu'Alma réajustait les bandages autour de son pied meurtri.) - excusez-moi, miss, je ne veux pas jurer sur le nom du Christ devant vous, mais mon nom de famille est Jesus - Jeremiah Jesus, pour vous servir - donc j'ai le droit de dire «Jésus» quand j'ai mal, d'accord?

   Alma a hoché la tête, espérant qu'il poursuive son récit.

- Au début, a-t-il enchaîné, les galeries, c'est deux mètres de haut et tout aussi large environ. Ensuite, ça se rétrécit, puisque ça ferait trop de bruit et que les allemands nous entendraient venir. Une fois qu'on a traversé la ligne du front par en bas et que les ennemis en haut nous pissent dessus quelques mètres de terre plus haut - excusez le langage, miss -, c'qu'on doit pas faire de bruit du tout, voyez. Alors on creuse sans machines, sans pioches, c'qui fait que les tunnels peuvent pas être aussi larges - 60, 70 centimètres en haut environ. Et ensuite, une fois qu'on est assez loin, on pose une mine et (Il a mimé une explosion avec ses mains.) Pan, les pisseurs d'en haut s'envolent. Vous avez bientôt fini avec mon pied? C'que ça fait mal de sa mère, vous savez.

Thomas Shelby » Peaky BlindersWhere stories live. Discover now