Thomas Shelby » Peaky Blinders

▬ Chapitre 90 : Alma.

   26 mai 1926, 9h09.

   Arrow House, Birmingham.

- Alma?

   En entendant la voix de Polly Gray, Alma se passe l'arrière des mains sur les joues pour y essuyer ce qu'il reste de larmes séchées. Assise dans un coin de sa chambre, juste en dessous d'une fenêtre, elle commence à se relever brusquement, mais Polly lui fait signe de rester où elle est d'un mouvement de main.

   Elle regarde Alma pendant un instant, les lèvres pincées, puis fait quelque chose à laquelle Alma ne se serait pas attendue dans dix ans : Polly Gray la rejoint et s'assied parterre à côté d'elle, les jambes repliées sur le côté. Alma serre un peu plus ses genoux contre sa poitrine.

- Arthur m'a dit qu'il vous avait enfermé toi et Tommy dans la chambre de Charlie, ce matin. Pour que vous parliez. (Elle jette un coup d'oeil en direction d'Alma.) Je suppose que vous avez parlé, dans ce cas.

   En guise de réponse, Alma hausse les épaules. Mais Polly Gray ne se laisse pas décourager et poursuit :

- Tu sais, quand Thomas est rentré de France en disant qu'il y avait rencontré une femme, je ne savais pas quoi en penser. Au début, j'étais contente : après la mort de Greta Jurossi, il était tellement dévasté que j'ai cru qu'il n'allait jamais s'en remettre, alors s'il y a une nouvelle femme, cela devait vouloir dire qu'il remontait la pente... Mais plus le temps passait, plus j'ai compris que cette femme, que toi, tu étais en train de poser un sérieux problème. (Alma hausse les sourcils, toujours encore aussi fatiguée.) Tommy refusais de nous dire qui tu étais, pourquoi tu n'étais pas avec lui, si un jour tu allais le rejoindre à Birmingham. Ca a duré des années - littéralement des années, où nous n'avions rien le droit de savoir, où nous ne pouvions que faire des spéculations sur l'identité de cette inconnue qu'il ne lâchait pas. (Elle soupire.) Finalement, j'ai fini par croire que peu importe qui elle avait été, elle devait être morte. Et là, c'était assez compliqué puisque je ne savais pas si Tom était conscient qu'elle était morte et que son silence était le moyen de faire son deuil, ou si on l'avait perdu à une réalité différente dans laquelle il n'arrivait pas à accepter cette mort...

   Et bien. Alma ne sait quoi penser de ces informations. D'un côté, elle serait presque touché par cette loyauté - bien qu'elle n'ait pas été jusqu'à ce que la mort nous sépare comme ils se l'étaient promis à deux reprises. De l'autre, elle a l'impression qu'elle va exploser si elle entend encore quelqu'un dire qu'au fond, Thomas Shelby l'a quand-même vraiment aimée pendant un certain temps.

   Qu'est-ce que cela peut lui faire que Tommy l'ait aimée en 1920, si c'est pour qu'elle soit assise dans sa chambre en train de pleurer six ans plus tard?

- Est-ce qu'il vous a dit la vérité? demande Polly après quelques instants silencieux.

- La vérité? répète-t-elle avec un arrière-goût amer. Je ne sais même plus ce que c'est, la vérité - à chaque fois que je crois qu'on a fait le tour de tout, il y a toujours plus.

- Il vous a parlé de la russe en 1921?

   Alma se souvient que Tommy avait, il y a une heure de cela, mentionné le nom de Polly lorsqu'il a parlé de l'épisode de l'adonide. Visiblement, sa tante est mieux informée qu'elle.

   Elle hoche la tête.

- Alors vous avez la vérité, conclut Polly. Enfin, je suis certaine qu'il y a encore un millier de choses dont je ne suis pas au courant, mais ce qui s'est passé avec la russe, c'est... (Du coin de l'oeil, elle voit que Polly Gray penche un peu la tête en arrière. Alma se demande si c'est pour qu'elle ne puisse pas voir que ses yeux brillent plus que d'habitude.) C'est à partir de là, vraiment, que tout est devenu une putain de catastrophe. Que Tommy est devenu une putain de catastrophe.

   Alma sent son ventre se nouer. Peu importe ce qu'il a pu faire, l'idée que Tommy, son Tommy ait été drogué à l'adonide et qu'il ait été...

   Ca la tue. Ca la tue, et elle ne peut rien y faire.

- Thomas ne va pas bien, Alma, dit Polly en se tournant un peu vers elle. Il...

- Je sais - je sais! la coupe-t-elle en sentant sa gorge se serrer. Je sais que Tommy ne va pas bien - Ciel, je l'ai connu en France, je sais qu'il n'est plus comme avant. Mais je... (Du bout de l'index, elle essuie les quelques larmes qui s'apprêtaient à glisser hors de ses paupières.) Moi non plus, je ne vais pas bien, et il est partiellement responsable de ça. Et je ne suis pas l'Armé du Salut - je ne peux pas toujours tout lui pardonner parce que -

- Ce n'est pas ce que je voulais dire, l'interrompt doucement Polly en lui posant une main sur l'avant-bras.

- Quand-même. (Alma se relève, lisse les pans de sa jupe.) Ecoutez, Polly, c'est vraiment gentil d'être passée voir comment j'allais, mais...

   Polly se lève à son tour.

- Je ne te demande pas de pardonner Thomas. Je ne te demande pas non plus de rester à Arrow House, ni de maintenir les apparences avec lui envers qui que ce soit - qu'est ce qu'on s'en fout de ce que Birmingham peut penser de monsieur et madame Shelby. (Son énergie arrache l'ombre d'un sourire à Alma.) Ce que je te demande, Alma, c'est de faire ce que toi, tu veux faire. Si tu veux lui donner ton pardon - fantastique. Si tu veux partir - tout aussi fantastique, va où le vent t'emporte.

- C'est gentil, mais maintenant que j'ai Charlie, je ne pense pas que Tommy me laisserait littéralement aller là où le vent m'emporte avec lui.

   Polly Gray balaye sa remarque du revers de la main.

- Quelque chose d'autre que je te demande, alors : pousse-le un peu plus, ton mari. Ne lui demande pas : « Tommy, est-ce que ça te convient si je m'installe à Londres avec le petit dans trois mois? », dis-lui : « Tommy, demain j'ai besoin de la voiture pour aller à la gare ; Charlie et moi on déménage à la capitale. ».

- Je ne suis pas certaine que...

- Avec tout ce qu'il t'a fait vivre, l'interrompt-elle sérieusement en la regardant dans les yeux, c'est un privilège pour lui que tu lui octroies le droit de dire « oui, Amen » à tout ce que tu dis. Et crois-moi, il en est conscient.

   Alma se mordille l'intérieur de la joue, mais finit par hocher la tête en capitulant.

   Polly Gray hoche la tête à son tour. Après un dernier « n'oublie pas tout ce que je viens de dire, d'accord? », elle sort de la chambre, laissant Alma nager dans un étrange mélange de sérénité et de confusion.

* * *

Sans surprise, le prochain chapitre = jeudi!

(aussi, j'en profite pour glisser un petit commentaire : à aucun moment je conseille de considérer la relation entre tommy&alma comme quelque chose d'idéal ou de particulièrement sain. Je dis pas ça par rapport à quoi que ce soit en particulier, c'est juste un petit quelque chose que je me sens moralement tenue de préciser au cas où (même si sur une histoire peaky blinders on est d'accord de base on n'est pas vraiment sur les choses les plus recommandables ever ; et alors ; laissez-nous nos petits plaisirs toxiques de la vie et voilà!!!!) xoxo à jeudi♥ )