▬ Chapitre 5 : 1916.

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   9 septembre 1916.

   Bataille de la Somme, France.

   Hôpital de la brigade St. John.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé?

   Alma s'essuie les mains sur un torchon propre tout en essayant de distinguer quelque chose à travers la fenêtre surplombant le lavabo. Elle n'a adressé sa question à personne en particulier et c'est Sœur Margaret, la doyenne des infirmières, qui lui répond.

- Rangez correctement vos cheveux sous votre coiffe, infirmière! lui ordonne-t-elle sur son ton stricte habituel.

   Tout en sortant à grands pas de la salle d'eau, Alma resserre le nœud du tissu avec lequel elle sont toutes tenues de s'attacher les cheveux. Elle descend trois marches, puis arrive dans l'aile principale de l'hôpital où sont alignées quatre rangées de trente lits chacunes. Au début de la guerre, tous les lits étaient séparés par des sortes de rideaux, mais ils ont rapidement été démontés car leur désinfectement gaspillait de la lessive pour pas grand-chose. Au début de la guerre, il n'y avait que vingt lits par rangées, mais dix en ont été rajoutés pour faire face au nombre croissant de blessés.

   Alma traverse la pièce jusqu'à rejoindre le petit attroupement que forment plusieurs de ses collègues près de l'entrée. 

- Les soldats disent que nos armées ont pris le village de Ginchy! s'exclame Suzie en la voyant arriver.

   Si Sœur Margaret voyait les longues mèches rousses tombant de la coiffe de Suzie, elle tomberait certainement raide morte.

- Mesdames! les interpelle justement Sœur Margaret depuis l'autre bout de la salle. Il s'agit de respecter le protocole dont vous avez été informées dès le premier jour de vos arrivées! Alma, Suzie, vous êtes chargées du secteur A aujourd'hui, si je ne me méprends pas? Alors pourquoi n'êtes vous pas dans le secteur A?

   Suzie lève les yeux au ciel - ce que Sœur Margaret ne peut pas voir, sinon Suzie ne l'aurait jamais fait -, puis les deux jeunes femmes traversent la salle à grandes enjambées jusqu'au secteur A. Une fois de plus, Alma a failli courir pour arriver plus rapidement à destination, mais elle s'est heureusement souvenue à la dernière minute que ce n'était pas une bonne idée.

   Aux écuries de Smethwick, le père d'Alma la réprimait toujours quand petite, elle courrait à travers les écuries. Tu effrayes les chevaux en faisant du bruit comme ça, lui disait-il. Avec les soldats de l'hôpital, c'est exactement la même chose. Parfois, il suffit de faire tomber une cuillère par terre pour qu'un soldat se redresse brusquement sur son lit, l'air si terrorisé que cela en tord le cœur d'Alma à chaque fois. La première fois qu'un soldat a sursauté comme ça, Alma n'a pas compris - et puis elle a réalisé qu'il avait probablement cru entendre un explosif ou un tir d'arme à feu. Par chance, l'hôpital n'est pas juste à côté des champs de bataille et le bruit des combats leur parvient plus comme une sorte de grondement plus ou moins constant, parce que sinon, certains soldats ne fermeraient certainement pas l'œil de la nuit.

- J'ai déjà changé les bandages des numéros 1 à 5, lui dit Suzie alors qu'elles marchent chacune vers une rangée différente de lits. Numéro six, je lui ai donné de la morphine avant parce qu'il hurlait trop, donc tu devrais pouvoir t'en occuper sans qu'il ne gigote trop. Et si jamais il se réveille, alors il faudra dire à Sœur Margaret que quelqu'un vole la morphine et la remplace par de l'eau parce que vu la dose que je lui ai donné, il devrait pas se réveiller avant jeudi prochain.

   Alma cherche du désinfectant et des bandages dans une des grandes armoires à matériel situées dans un coin de la pièce.

   Numéro six est le sixième lit de la rangée la plus à gauche. Avant que les combats ne battent leur plein, elles essayaient toujours de retenir les noms des soldats qui allaient et venaient, mais cela fait des mois que toutes les infirmières ont abandonné. Trop de soldats arrivent, trop de soldats meurent avant qu'elles n'aient pu leur demander comment ils s'appellent. 

Thomas Shelby » Peaky BlindersWhere stories live. Discover now