▬ Chapitre 44 : Alma.

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   30 avril 1926, 17h35.

   Carleton House, Wednesbury.

    Cela fait bientôt une semaine qu'Alma séjourne à Carleton House ; bientôt une semaine qu'elle n'a eu aucune nouvelle d'Arrow-, ni de Smethwick House.

   Et rien de tout cela ne lui manque. Pas besoin de craindre les crises de son frère dès le bon matin ; pas besoin de changer comme si de rien n'était de trajectoire quand elle aperçoit Polly Gray dans un couloir au loin et qu'elle n'est pas d'humeur à se faire reprocher quoi que ce soit - «fille, pourquoi tes chiens sont-ils seuls dans le salon?» alors que c'est Polly elle-même qui les autorise à monter sur les canapés, «Alma, depuis quand Charlie a t-il le droit de manger du chocolat, hein?» alors que c'est Polly elle-même qui lui en donne tous les dimanches avant l'église pour le faire tenir tranquille...

   D'accord, peut-être que ce n'est pas tout qui ne lui manque pas. Charlie lui manque - sacrément, d'ailleurs. Pas forcément de la même manière qu'un fils manquerait à sa mère, non, plutôt de la façon dont un neveu manquerait à sa tante. Alma est toutefois dangereusement consciente de ne pas être loin de la première option : quand il pleure la nuit, c'est généralement elle qui vient voir ce qui ne va pas ; quand il se fait mal en jouant dehors, ce sont ses bisous magiques à elle qui fonctionnent le mieux...

   Au fil de sa carrière d'infirmière, Alma a exercé dans assez de services de pédiatrie différents pour savoir que Charlie commence de plus en plus à la considérer comme sa figure d'attachement primaire. Et si on lui avait dit, à son arrivée à Arrow House lorsqu'elle nourrissait encore l'espoir de pouvoir faire fonctionner les choses avec Tommy, qu'elle pourrait un jour être une mère pour son fils, elle n'aurait pas rêvé mieux.

   Mais c'était avant que Tommy ne soit Tommy. Maintenant, elle ne peut que prier que le petit Charlie ne comptait pas tant sur elle que ça et qu'il se remettra de son absence. Il vaut mieux arracher le pansement d'un coup, avant que ça ne fasse trop de dommages. 

- Tout va bien, Alma?

   La question de May la fait revenir à la réalité. En cette fin d'après-midi ensoleillée, elles se sont installées sur la terrasse à l'arrière du manoir ; Alma pour terminer une pièce de broderie à motif fleuri, May pour lire le journal sur lequel elle n'a pas eu le temps de se pencher ce matin. 

   Alma répond par un vague hochement de tête tout en se rendant compte qu'elle vient de se tromper de nuance de violet pour ses lilas. A moins que... oui, si elle agrandit un peu les pétales de ce côté, elle peut transformer les lilas en orchidée - il ne faudra qu'assombrir un peu les tiges et...

- John Shelby a téléphoné, toute à l'heure.

- John? (Alma lève les yeux de sa broderie.) Que voulait-il?

- Savoir si vous étiez encore en vie, principalement. J'ai proposé d'aller vous chercher pour qu'il puisse vous parler, mais il a dit que ce n'était pas la peine et qu'il me croyait sur parole si je lui disais que vous n'étiez pas décédée dans de mystérieuses circonstances - ses mots, pas les miens.

   Alma ne peut réprimer un sourire en entendant cela. D'accord, peut-être que le petit Charlie n'est pas la seule personne du clan Shelby-Gray qui lui est sympathique, après tout. 

- Si cela est possible, je le rappellerai demain matin. A condition que je ne sois pas décédée dans de mystérieuses circonstances d'ici là, évidemment.

- Bien sûr. Vous savez où se trouve le téléphone. 

   Après un dernier sourire, elles reprennent toutes les deux leurs activités respectives en silence. Ce qu'Alma apprécie particulièrement avec May, c'est qu'une fois la première journée passée, l'hôtesse de maison s'est avérée être quelqu'un qui ne ressent pas le besoin de combler le vide en parlant de tout et de rien - une tendance qu'Alma a souvent lorsqu'elle est invitée quelque part. May lit son journal, Alma essaye de transformer des lilas en orchidées et, dans le fond, des hennissements provenant des écuries se font entendre de temps à autres, entrecoupées par les aboiements d'Hermès, Circé et Atlas qui vagabondent comme bon leur semble avec les deux grands bergers allemands de May.

Thomas Shelby » Peaky BlindersWhere stories live. Discover now