▬ Chapitre 49 : 1916 - Thomas Shelby.

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   26 octobre 1916, 07h03.

   Bataille de la Somme, France.

   Hôpital de la brigade St. John.

   Alma a passé la nuit sur le plancher, juste à côté de son lit. Il le sait parce qu'il n'a presque pas fermé l'œil de la nuit et qu'à chaque fois qu'il reprenait conscience, il voyait le haut de son crâne dans un coin de son champ de vision.

   Une fois, elle était debout devant l'unique minuscule fenêtre du grenier et regardait, au vu de la lumière claire qui se reflétait sur son visage, probablement la Lune. Les bras repliés contre elle, elle se tenait le poignet d'une main ; un geste qu'il l'avait déjà vu faire il y a des semaines de cela à l'hôpital, quand Sœur Margaret était en train de la réprimander pour quelque chose dont il ne se souvient pas. Cela lui est resté à l'esprit car il avait pensé, à ce moment, que cette infirmière inconnue allait finir par se briser elle-même l'articulation si elle continuait à serrer comme ça.

   Cette nuit, il aurait aimé lui dire de ne pas faire ça. Il lui aurait demandé en plaisantant si elle imaginait sa tête à lui à la place de son avant-bras, ou lui aurait peut-être tendu son propre bras en lui proposant de serrer le sien plutôt. Elle aurait probablement essuyé sa proposition en levant les yeux au ciel, peut-être avec l'ombre d'un sourire embarrassé ; peut-être en se mordillant l'intérieur de la joue ; peut-être les deux.

   Mais cette nuit, il n'a rien fait.

   Il n'a rien pu faire d'autre que l'observer de loin - et encore, c'est à peine s'il a réussi cela. Depuis l'explosion dans le tunnel, Thomas Shelby a l'impression d'être sorti de son propre corps, de sa propre tête, et de ne rien pouvoir faire de plus que de s'observer de l'extérieur, un peu comme dans ces films où des caméras parviennent, par on ne sait trop quel miracle, à enregistrer de la vie sur une pellicule.

   Alma n'est pas morte, et il ne parvient même pas à la regarder directement.

   Elle n'est pas morte, n'a pas été capturée par les allemands. N'est pas partie de son plein gré sans lui donner de nouvelles non plus. Quand il est arrivé à l'hôpital avant-hier, il n'a pas réussi à demander à Sœur Margaret où était Alma, mais Sœur Margaret a répondu à sa question sans qu'il n'ait à la poser.

   « Alma n'est pas ici. »

   Sœur Margaret a très certainement raconté d'autres choses, mais le peu de conscience qu'il avait réussi à rassembler pour ne serait-ce que se souvenir d'Alma - ou de son propre nom, d'ailleurs - n'a pas réussi à comprendre davantage que ce « Alma n'est pas ici ».

   Et maintenant, Alma est ici. Quand elle est apparue hier soir, il a d'abord pensé qu'il s'agissait d'une hallucination, une de plus. Il avait déjà cru la voir dans le tunnel enseveli - ses cheveux de dos, ses mains, le bas de son visage, son rire -, mais là, c'était beaucoup trop réaliste.

   Alors il a pensé qu'il était mort, et que Dieu existait vraiment, et que Dieu l'avait envoyé en enfer. Car devoir observer Alma pleurer en silence pour le reste de l'éternité, c'est...

- Au cas où vous vous poseriez la question - (Alma se lève.) -, j'ai passé une nuit exécrable.

   Tandis qu'elle se redresse, le bas de sa robe frôle la main de Thomas Shelby. Il a envie de s'y accrocher, de la tirer jusqu'à ce qu'Alma tombe à la renverse sur lui et de la tenir pour ne plus jamais la relâcher. Mais il n'y arrive pas.

   Il essaye de se convaincre que ce sont les médicaments qui le plongent dans cet état second. Qu'une fois que toutes les substances qu'on lui a injectées ne feront plus effet, il se réveillera enfin.

Thomas Shelby » Peaky BlindersWhere stories live. Discover now