▬ Chapitre 78 : 1916 - Suzie.

1.2K 81 12
                                    

   14 décembre 1916, 11h09.

   Bataille de la Somme, France.

   Hôpital de la brigade St. John.

   Avant la guerre, Suzie était sûre de plein de choses.

   Elle était certaine qu'à l'âge de vingt ans, elle serait déjà mariée depuis bien longtemps et aurait déjà un enfant - ou au moins, qu'il y aurait un bébé en cours de route. Elle vient d'avoir vingt-et-un ans la semaine dernière, et inutile de préciser que ni l'un, ni l'autre n'est le cas.

   Elle était persuadée que personne en ce bas monde ne ronflait aussi fort la nuit que sa sœur ainée Maggie. Ca, c'était avant de devoir dormir toutes les nuits dans la pièce à côté de celle où dort Sœur Margaret, et d'être, une nuit sur deux, dans l'impossibilité de dormir parce que même à travers les murs, Sœur Margaret ronfle plus fort qu'un tracteur en fin de vie.

   Elle était sûre de savoir que la politique, ce n'était pas pour elle. Maintenant, elle sait que l'une des premières choses qu'elle va faire en rentrant, c'est s'inscrire sur la liste du Parti Indépendant Ecossais, qui lutte pour l'indépendance de leur terre par rapport au monstre anglais. Car ce n'est pas à Edinbourg, Glasgow ou Aberdeen que cette maudite guerre a été décidée - non, comme d'habitude, toutes les décisions sont prises à Londres, par des anglais. Ces maudits anglais. S'ils veulent la guerre, ils n'ont qu'à la faire eux-mêmes, sans venir enrôler des fils de l'Ecosse qui n'ont rien demandé à personne.

   Bien qu'il y a beaucoup d'anglais qui n'ont pas demandé à être envoyés en France également, bien sûr. Mais là n'est pas la question.

- Vous avez bientôt fini? lui demande le soldat duquel elle est en train de s'occuper.

- Pourquoi, vous avez un train à prendre? rétorque-t-elle en continuant de désinfecter l'orbite vide de son œil gauche manquant. 

   En guise de réponse, il marmonne quelque chose d'inintelligible dans sa barbe.

   Ouais, c'est ce que je pensais.

   Il y a quelques mois, Suzie se serait probablement excusée de prendre autant de temps - «désolée, j'essaye de faire du mieux que je peux pour être certaine que votre infection ne s'aggrave pas». Mais plus le temps passe, plus elle commence à ne plus pouvoir supporter la condescendance de certains patients, pour qui rien ne va jamais assez vite et rien n'est jamais assez bien.

   Une fois, elles en parlaient justement, avec Kari. Cette dernière lui a dit que si certains des hommes étaient parfois aussi méprisants envers elles, c'était parce qu'ils se sentaient hiérarchiquement supérieurs à elles, et qu'après avoir passé des semaines au front, à ne rien faire d'autre que d'obéir à des ordres, leur virilité avait dû en prendre un sacré coup.

   Et bien c'est fort dommage pour eux, avait répondu Suzie, mais il va falloir s'y faire.

   Mais tous les patients ne sont pas comme cela, fort heureusement. Il y a également ceux qui arrivent à peine à se contrôler en voyant pour la première fois des femmes de nouveau - cela peut être amusant quand cela se traduit par des rougissements incessants dès qu'elles leur adressent la parole ; beaucoup moins quand cela passe par des mains baladantes. 

   Et quelque part, en plus de ces trois catégories, il y a les bons. Celui qu'Alma a pêché, Tommy, est bien évidemment l'exemple parfait de ces soldats qui, malgré toutes les horreurs du front, arrivent à se comporter comme des êtres humains civilisés vis-à-vis des infirmières. Sur cette liste, il y a également Jeremiah Jesus et quelques autres soldats qui ne restent généralement pas assez longtemps ici pour qu'elle se souvienne de leurs noms.

Thomas Shelby » Peaky BlindersWhere stories live. Discover now