▬ Chapitre 76 : Thomas Shelby.

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   17 mai 1926, 18h45.

   Hôtel Ritz, Londres.

   Thomas Shelby aime les nombres. Les nombres rendent la réalité tangible. Lui donnent le sentiment de contrôler les choses.

   Ses trajets préférés sont ceux qu'il a déjà parcourus à l'avance, et sur lesquels il peut mettre des nombres. « Le chemin d'Arrow House aux écuries », cela ne veut rien dire tant qu'il n'a pas collé une étiquette temporelle dessus - 2 minutes 10, dans ce cas-ci -, ou, s'il n'a pas de montre avec lui, un nombre de pas - 81, en l'occurrence.

   Les nombres permettent aussi de se souvenir. Lorsque Tommy n'arrive pas à dormir et qu'il sent son esprit s'éloigner vers des terres obscures, il essaye de s'occuper en pensant à des choses plus réjouissantes.

   Alma et lui qui s'embrassent, voilà un thème de prédilection pour cet exercice. Au total, ils se sont embrassés dix-sept fois, ce qui fait dix-sept souvenirs dont il se souvient généralement du plus ancien au plus récent. Parfois, il ne peut pas s'en empêcher et commence par les meilleurs.

   Si Thomas n'avait pas gardé le compte, il ne se serait probablement pas souvenu des dix-sept baisers échangés. Mais puisqu'il sait qu'il y en a dix-sept, il se rendrait immédiatement compte d'avoir oublié quelque chose si sa liste ne comprenait un jour plus que quinze souvenirs. Pour l'instant, il se les remémore tous avec facilité, mais si un jour, sa mémoire commençait à lui faire défaut, il serait préparé. 

   Toujours être préparé et toujours compter. Voilà ses mots d'ordre. 

   Malheureusement, on ne peut pas être préparé à tout, et on ne peut pas toujours tout compter non plus.

   Il a rapidement oublié l'idée de tenter de garder le compte du nombre de fois où il a failli mourir, par exemple. La faute à la guerre, principalement, où il faudrait déjà se mettre d'accord sur ce qui compterait pour une expérience frôlant la mort. Certains diraient que la simple présence au front suffit pour risquer sa vie, mais dans ce cas, qu'énumère-t-on? Les secondes, les minutes?

   Pour répondre à ce problème, Thomas Shelby utilise la valeur « x », l'inconnue de base en mathématiques. Et à chaque fois qu'il y reste presque, il se note mentalement « x + 1 ».

   Mais à partir d'aujourd'hui, la formule change.

   A partir d'aujourd'hui, ce sera « x + x + 1 ».

   Le premier x pour toutes les fois où il a faillir mourir jusqu'au 17 mai 1926.

   Le deuxième x pour toutes les fois où il a cru que son cœur allait le lâcher aujourd'hui.

   Tout a commencé ce matin. Il est arrivé à Arrow House à 11 heures piles, uniquement pour constater qu'Alma n'y était pas. Un mot laissé sur la table de la salle à manger, de la plume de Finn, expliquait que lui, Alma et Isiah étaient partis en voyage à Londres.

   A cet instant, Thomas Shelby a compris qu'il avait fait une sacrée erreur. Il aurait dû écouter John, aurait dû tout raconter au jeune Finn. Car si Finn avait été mis au courant, il n'aurait jamais emmené Alma à Londres sans la moindre protection - car ce ne sont ni Finn, ni Isiah qui parviendront à la protéger de leurs ennemis.

   De là, Tommy a passé un quart d'heure au téléphone, à essayer d'appeler tous les lieux où pouvaient possiblement se trouver Alma et les garçons. Il a commencé par les restaurants où ils étaient déjà allés, par les boutiques d'où proviennent la plupart des vêtements d'Alma, puis a fini par capituler et a sollicité l'aide d'Alfie Solomons.

   Alfie a dû sentir que l'heure n'était pas à la plaisanterie, puisqu'il s'est simplement de dire qu'il allait immédiatement envoyer plusieurs de ses hommes en repérage. 

   Ensuite, Tommy a pris la voiture, roulé jusqu'à la gare de Birmingham et a sauté dans le premier train pour la capitale. Une fois dans un wagon, il a réalisé qu'il aurait mieux fait d'appeler Arthur, John, Johnny Dogs et les autres - en cas de problème, ils auraient été d'une aide précieuse -, mais c'était trop tard pour cela. Il est arrivé à Londres seul, sous un Soleil beaucoup trop rayonnant pour une heure si grave.

   Un des hommes d'Alfie l'attendait sur le quai. Un jeune homme, qui devait à peine être aussi âgé que Finn.

   « On sait où est votre femme, m'sieur », lui a-t-il dit. « Vous en faites pas, elle est en sécurité. »

   Le jeune homme lui a donné un petit papier sur lequel était noté l'adresse du lieu.

   A cet instant, Thomas Shelby est mort une deuxième fois.

   Alma n'était pas en sécurité. Elle était chez Maximilian Sommer.

   Tout le contraire de la sécurité.

   Il s'est jeté dans le premier taxi qui s'est arrêté devant la gare, doublant un jeune couple qui s'apprêtait à monter dans le véhicule.

   Le trajet lui a semblé durer une éternité. Généralement, Thomas Shelby met un point d'honneur à ne pas se comporter de façon condescendante face au personnel, mais là, il n'a même pas empêché de se retenir et a certainement traumatisé le pauvre chauffeur tant il lui disait de rouler plus vite.

   Il n'a même pas chronométré la durée du trajet. 

   Au bout de ce qui lui a paru être une éternité, il a fini par arriver à destination. En guise de payement, il a pioché au hasard un paquet de billets dans son portefeuille qu'il a pratiquement jeté dans l'habitacle. 

   La porte de l'immeuble était ouverte. Il n'y a pas prêté attention, a couru les marches quatre par quatre jusqu'au troisième étage.

   Là aussi, la porte était ouverte.

   Car Finn et Isiah étaient déjà sur place. 

   Et heureusement pour lui, ils s'étaient visiblement déjà occupé du cas de Maximilan Sommer, qui reposait tel la crapule inanimée qu'il est dans un coin du salon, inconscient, le visage recouvert de sang.

   Mais Thomas Shelby ne lui a pas prêté la moindre attention. Car Alma aussi était inconsciente. 

   Sans entendre les protestations des autres - « On a appelé un docteur », « Laisse-là ici, faut pas la bouger », il a soulevé Alma du canapé sur lequel elle était allongée et l'a portée hors de cet endroit de malheur.

   Oui, il lui fallait indéniablement un docteur, mais il fallait avant tout qu'il la fasse sortir d'ici. 

   Une fois dans la rue, il a hélé un taxi et lui a demandé de les emmener au Ritz le plus vite possible. Le chauffeur n'avait pas l'air enchanté de servir d'ambulance - « vous voulez pas plutôt qu'j'vous emmène à l'hôpital, pour la pauv' dame? » -, mais lorsque Tommy lui a donné tout ce qu'il lui restait comme argent, n'a pas protesté plus longtemps.

   Au Ritz, le personnel n'a pas non plus posé de questions quand il leur a demandé une chambre à son nom, ainsi qu'un docteur, le plus rapidement possible. Rien ne s'achète aussi bien que la discrétion et le silence, de nos jours.

- Tout ira bien, dit-il autant pour elle que pour lui même tandis qu'il la dépose sur le lit. Tout ira bien, Alma. Tout ira...

   Au moment où il lui a pris les poignets pour l'allonger correctement, les mains d'Alma sont passées près d'Alma.

   Et à cet instant, Thomas Shelby est mort une troisième fois.

   Ses mains sentaient l'adonide.

   Une drogue, dont il connaît bien trop bien la senteur.

* * *

(aucune idée de si l'adonide ça fonctionne en drogue, votre dévouée a simplement tapé "nom fleurs" sur un moteur de recherche connu et a pioché ce qui sonnait fun)

Thomas Shelby » Peaky BlindersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant