▬ Prologue : Arthur Shelby.

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    Small Heath, Birmingham.

   1925.

  Arthur Shelby n'a jamais aimé les lundis.

   Beaucoup de gens n'aiment pas les lundis, mais Arthur Shelby ne les aime particulièrement pas. Les lundis matins, il y a la réunion du syndicat des femmes de Shelby Company Limited et de ce fait, Arthur et les autres gars se retrouvent seuls à devoir faire tourner la boutique.

   Cela fait des années que les frères Shelby ne s'occupent plus eux-mêmes des paris équestres, qu'ils ont des secrétaires pour gérer tout ça. Sauf le lundi matin, où elles quittent toutes leurs postes à 10 heures précises pour aller suivre Polly, Linda et Esme mener leur petite révolution.

    Arthur Shelby n'a jamais trop compris ce qu'il se passait pendant ces réunions. Quand il pose la question à sa femme Linda, cette dernière répond toujours la même chose : «on est en train de changer le monde». A cela, Arthur rétorque généralement qu'il ne voit pas pourquoi les hommes mériteraient d'être exclus de ce projet, puis Linda répond que ça ne sert à rien qu'elle lui explique puisqu'il ne pourrait pas comprendre.

   Arthur Shelby a néanmoins sa petite idée de ce qu'il se passe derrière les portes fermées. Ca parle de communisme, de droit de vote des femmes, de congés payés. Rien de bien passionnant, et finalement, s'il y réfléchit, il est plutôt content de ne pas être invité à ces réunions.

   Ce lundi matin, un lundi pluvieux tout à fait ordinaire, il se retrouve donc à surveiller les locaux de Shelby Company Limited à Small Heath pendant que sa femme fait Dieu sait quoi avec les autres. Il a vu Polly passer avec des piles de papiers sous les bras juste avant ; elles doivent donc imprimer des affiches pour la cause ou quelque chose de ce registre.

   Qu'elles fassent donc, qu'elles fassent donc. Assis sur son fauteuil en cuir, il a laissé la porte de son bureau ouverte en grand afin que les rares ouvriers voulant déposer des paris pour les courses de l'après-midi puissent venir chez lui. De 10h à 11h30, il n'y a toutefois pas beaucoup de paris qui entrent - la plupart des usines du quartier ont la pause de 9h30 à 9h45 et c'est à ce moment-là que les locaux sont plein à craquer et que les bookmakers, alignés derrière les grilles de leurs bureaux, encaissent le plus d'argent.

   Mais là, tout est calme. A part John en train de discuter avec un client à l'autre bout du local, l'on entend rien de plus que le bourdonnement habituel des usines de Small Heath dans le fond.

   Lorsque la petite montre posée sur son bureau indique 10h14, Arthur Shelby décide qu'il a déjà bien assez travaillé aujourd'hui. Il va se servir un verre de whisky, qui se trouve sur un petit buffet situé dans un coin de la pièce. En refermant la bouteille encore pleine, il fait tomber un peu du liquide sur le napperon en sorte de dentelle posé sur le meuble. S'il avait été à la maison, Linda lui aurait déjà crié de ne pas rester là sans rien faire et d'aller nettoyer avant que cela ne tâche indélébilement le tissus. Mais il n'est pas à la maison et se contente donc de regarder la tâche s'agrandir au fur et à mesure que le tissus s'imbibe.

   Cette scène fait penser à Arthur qu'il ne comprend pas comment les éponges fonctionnent. Comment l'eau peut-elle rester à l'intérieur de quelque chose sans réellement être à l'intérieur de quelque chose, puisque les éponges ne sont pas comme des boîtes pouvant contenir quelque chose vu que l'eau passe à travers? Il ne comprend pas comment sont fabriquées les éponges non plus. Quand il était gamin, il avait une fois posé la question à la maîtresse à l'école, mais il ne se souvient plus de la réponse. Il faudrait qu'il pose la question, de nouveau. Pas à la maîtresse de l'école - à Ada, plutôt. Même si elle ne sait pas comment on fait pour fabriquer une éponge, elle ira à la bibliothèque et trouvera la réponse dans un livre, comme elle le fait d'habitude, dans un de ces énormes livres plus épais que les Bibles dans lesquelles il y a Nouveau et Ancien Testament réunis en un seul volume - ces énormes livres qui s'appellent encyclopédies et où il y a...

   Arthur Shelby est arraché à sa réflexion par le bruit de quelqu'un toquant contre la porte ouverte de son bureau. Il tourne la tête en direction de l'arrivant.

   De l'arrivante, plutôt. Une jeune dame qui doit avoir l'âge d'Esme, un peu moins peut-être. Probablement un peu moins. Ses cheveux foncés sont coupés assez court, à la mode, mais pas aussi courts que ceux d'Ada. Mignone. 

   Sa tête ne lui est pas familière et vu ses vêtements, s'il l'avait déjà croisée quelque part, alors certainement pas à Small Heath. A la cour du roi d'Angleterre, plutôt - non, peut-être quand-même pas. En y pensant, la robe noire qu'elle porte ressemble à une que Linda a aussi - pas en noir, en bleu foncé - et qu'elle ne porte que pour les grandes occasions, comme les baptêmes ou les mariages. 

- Comment est-ce que je peux vous aider? dit finalement Arthur Shelby en lui faisant signe d'entrer dans la pièce.

- Je suis à la recherche de Monsieur Thomas Shelby, répond-elle en restant debout dans l'entrée.

   Son accent est on ne peut plus britannique, on ne peut plus ordinaire. Tant mieux - pendant une fraction de seconde, il a cru qu'elle allait être Irlandaise, il ne sait pas trop pourquoi.

- Vous aviez rendez-vous?

- Non, mais c'est une affaire pressante.

   A la façon dont elle a insisté sur ce dernier mot, Arthur Shelby devine que c'est le cas.

- Mon frère ne reçoit que sur rendez-vous, répond-il en affichant un air désolé. Je ne suis pas son secrétaire, mais comme elles sont toutes occupées à... Si vous voulez, je peux vous noter dans son agenda. (Arthur Shelby s'assied dans son bureau et fait glisser le large agenda de Tommy que Polly lui avait confié le temps de la réunion vers lui.) Alors, comment ça fonctionne ce truc...

- C'est vraiment urgent, insiste son interlocutrice en faisant un pas en avant. J'ai besoin de lui parler maintenant.

- Tommy est un homme occupé - (Il ouvre l'agenda sur la double page correspondant à cette semaine, puis cherche des yeux un créneau de libre dans l'emploi du temps de son frère.) cette semaine, ça va être compliqué, mais celle d'après, si je dis pas de conneries, le jeudi entre 12h45 et 13h si ça vous...

- Est-ce qu'il est ici? l'interrompt-elle en désignant le couloir menant aux autres bureaux d'un vague geste de la main.

- Oui, mais comme dit, il... (Arthur Shelby laisse sa phrase en suspens lorsqu'il comprend à quoi il à affaire ici.) C'est Tommy qui vous a dit de venir, c'est ça? (Il soupire, une pointe de pitié pour la pauvre créature qu'il a face à lui.) Ecoutez, je ne doute pas que peu importe où vous avez rencontré mon frère pour la première fois, peu importe tous les jolis mots qu'il a pu vous dire... S'il avait voulu vous voir à nouveau, il l'aurait fait. Je suis désolé.

   Elle le dévisage un instant, comme s'il lui fallait un moment pour comprendre ce qu'il venait de dire.

- Oh, non, je crois qu'il y a confusion, articule-t-elle finalement. Je ne suis pas... (Elle pince les lèvres une seconde.) S'il vous plaît, dîtes à votre frère que Madame Shelby est ici et qu'elle lui serait très reconnaissant s'il daignait se montrer.

   Cette fois-ci, c'est à Arthur de ne pas comprendre.

- Madame Shelby? répète-t-il. Comme dans... comme dans nous, les Shelby?

- Comme dans Madame Thomas Shelby, précisément. 

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