Chapitre XII

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La nouvelle de la révolte des Séparatistes à Macan était arrivée aux oreilles du monde entier, et surtout aux soldats qui, sur le front, se demandaient si leur pays n'était pas en train d'entrer dans une phase de révolte pré-révolutionnaire. Le taux de désertion avait grimpé, et le Prince Cyril fut élevé en défenseur de la démocratie dans certains milieux intellectuels. Au début ce mouvement en sa faveur restait marginal, puis la vérité éclata grâce à Lionel Vespay qui écrivit à tous les journaux du pays, racontant, en améliorant la vérité, l'histoire d'amour impossible entre Lana Ronor, fille et héritière du célèbre Charles, et le Prince Cyril. Prince, qui part amour, avait défié son père, puis sa sœur. Lionel avait ses martyrs. Deux martyrs qui unissaient les impérialistes peu favorables à la politique « élizabétienne », et les Réformateurs de la première révolution, essentiellement composés de Ronoriens. Lionel alimentait la presse de ses articles, de ces proses sur le sort des martyrs. Rapidement des poètes écrivaient sur Lana et Cyril, ces derniers furent surnommés : « les martyrs de l'Union ». L'Union, le nouveau mouvement qui unissait les partisans de Cyril Moscov et les Séparatistes. Et le chef n'était d'autre que Lionel Vespay. Il se cachait des autorités, ayant regagné Rebourg avec rapidité. Ce qui surmenait terriblement l'Impératrice. Elizabeth, plus seule que jamais, convoqua tous ses ministres afin de rappeler ses directives, et ses ordres. Elle passait ses journées au palais Duncan, évitant le plus possibles les apparitions publics, et le palais Semaine, de peur d'être victime d'un attentat. Elle paniquait à chaque bruit suspect, à chaque nouvelle tête dans sa garde, elle ne faisait confiance à personne. Même le chef des FPI, ne semblait plus avoir sa confiance. Son frère l'avait trahi, son père l'avait trahit, en la déshéritant juste avant sa mort....Tout le monde l'avait trahit. Salim. C'est le seul qui l'aurait soutenu, qui aurait trouvé une solution, raisonné Cyril. Il aurait sauvé le monde à lui seul. Et une maladie stupide l'emporte. Dans sa solitude extrême, Elizabeth fit revenir sa mère au palais Duncan. Olga Moscov apprit avec difficulté la trahison de son fils, mais se délectait tous les jours de poèmes que composaient ses partisans. Elle avait calmé sa folie, la mort de son mari lui paraissait cependant encore bien impossible. Elizabeth la reçut à déjeuner, et évidemment la situation de Cyril fut le principal sujet de conversation :

-Je ne le libérais pas. Dit-elle. Il est un traître à présent. Par définition, il a perdu son titre, ses terres, sa filiation toute entière. Je suis ton seul enfant à présent.

Olga tressaillit :

-Sache que Cyril est mon fils, autant que tu es ma fille. Vous êtes mon sang, mes tripes, et ce n'est pas ta loi qui va changer cela !

-Ne t'énerve pas contre moi ! C'est Cyril le traître ! Pour une amourette en plus !

Sa mère ne dit mot. Elle rencontra son petit-fils Daniel, un beau bébé, pensa-t-elle. Puis elle comprit vite, qu'Elizabeth était perdue, que le pouvoir l'aveuglait. Vladimir avait mal éduqué politiquement sa fille. Et elle n'avait qu'une envie, voir Cyril. Ce fils chétif, à la santé fragile, était en prison...Olga avait un très mauvais pressentiment. Que fallait-il faire ? Trahir sa fille pour sauver son fils, en sachant qu'Elizabeth lui en voudrait pour toujours ?

Au dîner, un Général débarqua au palais Duncan, il courut jusqu'au appartement d'Elizabeth, il claqua ses bottes l'une contre l'autre et fit un salut militaire. C'était Malrich, devenu célèbre depuis la destruction de Lavily :

-Votre Altesse. Dit-il à Elizabeth. J'ai une mauvaise nouvelle.

Elizabeth en avait assez des mauvaises nouvelles :

-C'est quoi cette fois ?

-La Garmanie se retire de la guerre, elle vient de signer un accord avec l'Auguste.

-Quoi ?! Pourquoi ?

-Selon l'Empereur de Garmanie, l'alliance formée n'est plus valable car elle reposait sur le mariage d'Alexane Moscov avec Francis de Garmanie. Or...

-Mon frère n'est plus Prince. Compléta Elizabeth. Il n'est plus mon frère.

-En effet. Le mariage ne peut se faire. La Garmanie a envoyé la Princesse Alexane dans la famille de sa mère. Annonça Malrich. Nous sommes seuls à présent.

Malrich énonçait là une terrible vérité. L'Allénie était seule contre tous. La trahison de Cyril avait plongé le pays dans la dégénérescence. Elizabeth prit congé du Général et gagna sa chambre. Elle se laissa pleurer, ce n'était pas arrivé depuis la mort de Salim. Elle entendit la nourrisse s'occuper de Daniel. Elizabeth devait garder l'Empire stable et fort pour le léguer à cet enfant qu'elle avait tant voulu. Daniel sera Empereur, elle se le jura.

Sur le front, malgré les désertions et le moral faible des soldats. La flotte Allénienne atteignait les côtes de Diavie délaissées par Damir qui se concentrait sur le front terrestre. Diavie, capitale du Nouveau-Duché, maintenant rattaché à l'Auguste, où Saphira était toujours prisonnière. Sa cellule respirait la mort, celle de Salim. Elle était hantée par cette image : ce cadavre monstrueux et si beau à la fois. Les batailles maritimes faisaient rages au loin, dans la mer de Juin. Saphira les entendait de sa cellule. Les coups de canons, les cris, la population qui fuyait. Saphira ne s'en souciait pas, que sa population soit décimée, qu'elle fuit, qu'elle ait peur, rien ne pourra empêcher son deuil, ce deuil interminable, ce deuil sans fin, elle allait mourir en deuil. Elle dormait peu, et chaque soir, chaque matin, chaque après-midi, elle pensait au passé, à leur passé commun. A la jeunesse, à leur première fois, à leur premier baiser, et à cette certitude qu'elle avait à chaque fois : il est l'homme que j'aimerai toute ma vie. Et c'est ce qu'elle avait fait. Et elle l'aimerait toute sa mort. Tout à coup une forte explosion retentit. Saphira sentit un mur s'effondrer près d'elle, sûrement sur une pièce adjacente. Des gens couraient dans le couloir. La porte de la cellule s'ouvrit, et Saphira reconnut l'homme devant elle :

-Votre Altesse ! Dit Sélène recouvert de poussière, et de sang séché.

-Que faites-vous ici ? S'étonna Saphira.

-Nous prenons Diavie. Venez, je vais vous libérer.

-Je suis la Tariqua d'Auguste. Vous devez me capturer.

-Non. Pour Salim, un homme que j'aimais énormément, je vais vous libérer. Dit Sélène.

Saphira n'en revenait pas. Le Général Allénien lui tendit sa main, elle la prit. Il l'emmena par la main à travers les couloirs du palais, la cellule se trouvant au sous-sol. Saphira ne reconnut pas son palais, celui de son enfance, celui de son père. C'était un ramassis de poussière, de mur brisé, de fenêtre éclatée et de cadavres de domestiques et soldats, certains éventrés, d'autres étranglés. Saphira n'imaginait même pas ce qu'avaient enduré les femmes dans le palais ou dans les rues. Elle eut envie de vomir. Sélène ne semblait rien voir, parcourant les corridors, croisant de temps en temps un de ces hommes qui ne disaient rien face à la surprise qu'ils éprouvaient en voyant Saphira. Ils arrivèrent dehors. Un petit bateau de pécheur attendait dans une petite baie. Saphira se souvenait de cet endroit. Salim et elle s'y retrouvaient pour des bains de minuits. C'était à l'arrière du palais, une petite plage privée qui appartenait au roi du Nouveau-Duché. Deux soldats, et un marin attendaient sur le bateau. Saphira s'enfonça dans le sable. Un coup de canon résonna. Sélène jura. Il poussa Saphira dans une barque. Il mit la barque à l'eau et rama jusqu'au bateau. Saphira ne disait rien, elle suivait Sélène, et voyait son pays s'éloigner, son magnifique pays. Ce pays. Elle versa quelques larmes, les dernières qu'elle avait, les autres étaient pour Salim. Le marin aida Saphira à monter dans le bateau de pêcheur. La nuit était là :

-Au revoir Votre Altesse. Dit Sélène.

-Vous ne venez pas ?

-Non, je dois me battre, votre époux ne va pas tarder à revenir du front. Expliqua-t-il. Prenez soin de vous. Que Rey vous guide.

Et il repartit en ramant. Le bateau partit. Un soldat, un Nouveau-Duc étant donné l'uniforme, demanda à sa Reine où elle voulait se rendre :

-Au Monterre.

Saphira voulait retrouver son fils. Elle repensa à sa fille dont elle ignorait jusqu'au prénom. Mais elle haïssait cette enfant, née de la haine, et non de l'amour. Rafael était tout. 


Les Seigneurs de Fallaris   Tome 1: AllénieWhere stories live. Discover now