Chapitre XXXII

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Lorsqu'elle se réveilla ce matin-là, Saphira savait qu'elle jouait son avenir et celui de son fils. Elle s'habilla, et gagna la salle du trône où se trouvait Damir, celui qu'elle devait appeler à présent : époux. Elle frissonnait de désespoir et de colère. Il était en réunion avec ses généraux. L'armée était prête, elle allait marchée vers l'Allénie. Enfin. Ce n'était qu'une question de temps. L'armée confédérée, d'Auguste et du Nouveau-Duché, préparait sa vengeance. Saphira allait voir tous ses sacrifices récompensés. Damir baisa la joue de sa femme et l'invita à assister à la dernière réunion avant le début de la marche vers le nord. Les généraux étaient d'accord pour attaquer le frontière, et d'envoyer une partie de l'armée par bateau pour qu'elle attaque Massoa. Deux fronts : un terrestre, un maritime. L'Auguste possédait une flotte imposante et très performante. Le port de Massoa n'allait pas résister longtemps. Puis les deux armées finiraient par se rejoindre et iraient vers Macan. Et à partir de ce moment, l'Impératrice n'aurait d'autre choix que de se rendre :

-Bien, dit Damir, nous partons !

-Tout de suite ? Demanda Saphira.

-Oui. Je veux arriver à la frontière avant le couronnement qui a lieu demain. Les gens associeront ce jour à celui de la guerre, et l'Impératrice détestera cette idée !

Il se mit à rire, un bruit diabolique, comme-si sa gorge était l'entrée des enfers. Saphira eut envie de le tuer sur place. Littéralement. Non pas parce que cette idée lui déplaisait, au contraire, elle haïssait Elizabeth d'Allénie, mais à cause de son rire. Et comme promis dès le lendemain les armées de Damir marchaient en cohésion vers l'Allénie.

Lana Ronor avait sa première réunion clandestine chez les Séparatistes. Elle alla chez Lionel et trouva une dizaine de personnes calmes, buvants et riants ensemble alors que dehors le despotisme d'Elizabeth était à son comble avec des centaines de portraits d'elle placés pour son couronnement. Lionel aperçut Lana et lui offrit un verre. Tout le monde connaissait Lana Ronor, c'était la fille d'une légende de la Révolution, la fille du « Grand Charles » comme on le surnommait dans le milieu. L'appartement de Lionel était très beau, très chic, il avait hérité de son père, de toute sa fortune, celle accumulée durant son mandat de premier ministre. Il vivait dans un beau quartier de Rebourg à quelques pas de la mer et d'un musée très réputé. Ses appartements se divisaient en plusieurs pièces meublés tel un palais. Lana n'en revenait pas :

-Lana !

Elle se tourna vers cette voix si familière :

-Hermann ! Où étais-tu passé ?

-Voir ma mère ! Je suis si heureuse de te voir !

Sans qu'elle comprenne pourquoi il l'embrassa, collant ses lèvres sur celles de Lana. Elle resta pétrifiée, il ne dit mot. Il l'enlaça avec force :

-Je me suis rendus compte, souffla-t-il, que tu me manquais quand je suis loin de toi.

-Merci Hermann. Dit-elle troublée mais flattée.

Lionel invita tout le monde à s'asseoir et à saluer les deux nouveaux venus, les deux nouveaux Séparatistes.

Au moment même où les forces d'Allénie apercevaient les bateaux d'Auguste au large de la baie de Massoa, Elizabeth enfilait son costume de parfaite Impératrice prête à affronter la foule et à recevoir la couronne de ses ancêtres. Dans le palais Semaine l'effervescence était à son comble. La sécurité avait redoublée d'effort depuis l'attentat. Rien n'était laissé au hasard. Elizabeth n'était pas rassurée, se sachant menacer, elle et cet enfant qu'elle portait à présent depuis plusieurs mois. Elle cachait son ventre avec la richesse de ses multiples parures, personne ne verrait rien. Elle l'annoncerait plus tard, une chose à la fois. La foule attendait dehors, les journalistes du monde entier étaient présents, appareils photos en mains, crayon et papier afin de conter à leur pays d'origine la merveilleuse cérémonie à laquelle ils allaient assister. Elizabeth sortit, de blanc vêtue, telle la pureté incarnée, du palais, passa l'immense grille et monta dans un carrosse, celui des grandes occasions avec l'aide de Salim. Cyril et lui allaient suivre à cheval, comme le voulait le protocole. Chaque centimètre de route que touchait la roue du véhicule était accompagné de cris de joie, d'approbation du peuple, qui suivait des yeux l'avancée de leur Impératrice vers la Basilique. Comment pouvaient-ils savoir qu'à l'instant même où Elizabeth descendait du carrosse, les canons d'Auguste bombardaient sans vergogne les murailles de Massoa ? La guerre venait d'éclater. La situation d'urgence fut décrétée et une missive vite envoyée à Rebourg. Rebourg qui était loin de tout, loin de la guerre, Rebourg qui célébrait une renaissance. Elizabeth venait légitimer sa condition. Elle salua la foule et pénétra dans la basilique où l'ensemble des prestigieux invités se levèrent. Ces hommes et femmes qui la connaissaient depuis l'enfance et qui la voyaient devenir la femme qu'elle devait être. Elle avança sur le tapis blanc, suivis de Salim et Cyril, droits et calmes. Des chants religieux, tel un rythme à l'avancée solennelle, résonnaient dans chaque brique du lieu de culte. Devant le chef de la Basilique, Elizabeth s'accroupit, pour la dernière fois de sa vie, pensa –t-elle. Les chants cessèrent, le chef religieux débuta un discours :

-Toi, Elizabeth, fille de Rey, tu as été choisi par lui seul pour devenir Impératrice de notre pays tout entier, chaque frontière, chaque contrée, chaque homme vivant dans ton territoire, bénéficie de ta protection impériale, comme il bénéficie de la protection divine de Rey. Tu es la gardienne de notre vie à présent. Elizabeth la Quatrième! Que Rey te guide !

Et toutes les personnes présentes répétèrent en cœur :

-Que Rey te guide !

Le moment qu'Elizabeth attendait depuis tant d'année arriva enfin. L'homme d'Eglise prit la couronne impériale sertit de diamant et de rubis, et la déposa sur la tête de la jeune femme. Elizabeth sentit enfin tout le poids de sa fonction, elle sentit les regards sur elle, les souffles coupés par l'appréhension, le sien par l'impatience. Elle savait qu'elle était sa place, et surtout la place des autres. Elle se redressa et se tourna vers la foule. On lui remit une épée, celle qui, selon la légende aura appartenue à Lux, célèbre Reine, qui aurait procédé au massacre des Barbares. Cette épée était un symbole fort qui lui donnait le droit de faire la guerre quand elle en avait envie. Puis Salim s'approcha et se mit à genoux devant elle. Elle le couronna d'une minuscule couronne, celle destinée au conjoint. Et enfin, il se plaça près d'elle. Ça y est ! Elizabeth, face aux invités était officiellement Impératrice du pays le plus puissant du monde. Et une joie immense la transcendait. Un sentiment si grand qu'elle n'avait jamais connu jusqu'à présent, un sentiment de pouvoir infini. Comme-si il suffisait de tendre la main pour avoir ce que l'on voulait, comme lorsqu'il suffit de respirer pour avoir de l'air. Elle descendit les marches, qui la séparaient des invités, doucement, et des chants reprirent. Chaque personne vient s'incliner devant elle. Chaque membre du gouvernement lui embrassait la main. Ainsi c'était ça le pouvoir. Celui de tendre une main que les autres sont obligés d'embrasser. Cyril était comme dépossédé de son être, là, au milieu des autres, ceux qui assistaient à la naissance d'une Impératrice, alors que lui assistait à l'ascension d'un despote. 




Les Seigneurs de Fallaris   Tome 1: AllénieOnde histórias criam vida. Descubra agora