Chapitre VIII

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Elle lui essuyait le front avec une serviette, mais ses larmes ne cessaient de mouiller le visage du pauvre Salim. Il convulsait encore. Saphira s'écarta n'ayant pas la force de prendre dans ses bras ce corps qu'elle aimait tant. Le sang ne coulait plus de sa plaie, mais jamais il ne s'était senti aussi mal de sa vie. Jamais une telle souffrance physique n'avait pris possession de tout son être jusqu'à maintenant. Il en venait à supplier de mourir. Il suppliait Saphira de l'abattre, il ne pouvait en supporter plus. Hurlant de douleur, il se tordait littéralement dans la cellule et dans ses rares moments de lucidité, il appelait la mort. Mais à côté de la souffrance physique de Salim, il y avait la souffrance mentale de Saphira. Elle voyait Salim mourir, souffrir, prier sous ses yeux. Elle portait le peu d'espérance qu'il restait sur ses frêles épaules. Elle lui soufflait à l'oreille, amoureusement dans une voix teintée de désespoir :

-Ne parte pas. Je t'en prie. Je ne suis rien sans toi. Je t'en prie.

Il n'arrivait pas à répondre. Il la regardait, et elle aimait ce regard. Celui d'avant, celui qui exprimait tellement de sentiment. Il tentait d'articuler quelque chose, une chose qu'elle comprenait avec ses yeux. Salim savait à présent qu'il avait fait une erreur. Il aimait Saphira. Il l'avait toujours aimé. Elle le savait, ses yeux lui disaient ces trois mots clairement, plus explicitement qu'avec une phrase. Elle lui caressa les cheveux. Il avait tellement maigri qu'on voyait ses côtes se destiner sous sa peau, ses joues étaient creuses, ses mains rudes et moites. Il n'y avait plus rien d'attirant chez lui, mais Saphira l'embrassa chaque jour, chaque heure, sur sa bouche sèche et acide. Il avait perdit le goût de la vie, jusque dans ses baisers. Les larmes de Saphira étaient la seule chose qu'il sentait sur son corps. Puis un soir chaud et calme, Salim sentit son organisme devenir un bout de chair sans âme. Il eut une pensée pour Elizabeth, cette femme pleine de qualité, qu'il avait aimée, il l'avoue. Puis il pensa à ses deux fils qu'il n'aura jamais le plaisir de chérir. Cette pensée lui arracha une larme :

-Saphira. Appela-t-il doucement.

Elle s'approcha de lui :

-Oui mon amour.

-Il est temps de nous dire adieu.

-Non. Ne dis pas cela ! Tu vas vivre. Affirma-t-elle faussement.

-Embrasse-moi.

Elle le fit :

-Je t'aime. Dit-il. Je suis désolé de toute cette souffrance que je t'ai fait endurer. Quand je t'ai dit que je ne t'aimais plus, je ne pensais pas ce que je disais, j'étais en colère.

-Je te pardonne.

-Toi tu n'as jamais changé. L'Allénie m'a changé, mon mariage m'a changé.

Elle ne pleurait pas. Elle buvait les paroles de Salim. Mais les larmes n'allaient pas tarder :

-Sers-moi contre toi. Ordonna-t-il en murmurant.

Elle se coucha près de lui. Il lui embrassa le crâne :

-Quoi de mieux que de mourir dans les bras de l'amour de sa vie ? Quoi de mieux...

Saphira se redressa brusquement :

-Salim ! Cria-t-elle. Salim !

Elle le secoua, d'abord doucement, puis avec force, saisissant ses épaules :

-Salim ! Non ! Non !

Mais Salim était mort. Elle reposa le corps et répétait ce prénom qu'elle aimait temps. Elle prit Salim dans ses bras, plaçant sa tête sans vie sur ses genoux, sur le sol froid en pierre de la cellule. Elle l'embrassa encore et encore, comme-si chaque baiser pouvait le ranimer :

-Je suis désolée. Pleura-t-elle. Je suis tellement désolée.

Elle enlaça la tête de Salim recouvrant d'eau salée venant de ses pupilles chaque centimètre de peau qui devenait froide :

-Je t'aime. Soufflait-t-elle. Je t'aimerai toujours, ici, où dans l'au-delà. Je t'aime.

Elle passa la nuit ainsi, le corps de son amour dans les bras. Le lendemain un garde, venu apporter à manger, vit la scène et prévenu le Tariq. Damir arriva en début d'après-midi. On lui ouvra la porte de la cellule :

-Elle n'a pas bougé depuis hier soir ? Demanda-t-il au garde.

-Oui. Elle refuse de lâcher le corps.

Damir renifla bruyamment. Saphira leva la tête vers lui. Et ce qu'il vit le bouleversa. Elle n'était plus la princesse forte qu'il aimait, qu'il avait épousé. Non ! Elle n'était plus. Une laideur due à la tristesse prenait possession de son visage. C'était comme-si Salim avait été la cause de sa beauté légendaire et que la disparition de ce dernier avait rendu à Saphira une laideur étrange. Elle était détruite. Damir baissa le regard :

-Donnez-lui de quoi laver le corps. Et qu'il soit donné aux autorités Alléniennes.

-Je pensais, dit le garde, que vous voudriez qu'on brûle le corps.

-Non. Il est tout de même de ma famille. J'ai détruit sa vie, je ne vais pas détruire sa mort.

Le garde remit à Saphira de quoi nettoyer le corps de Salim, ainsi que de nouveaux vêtements. Elle déshabilla le corps, et avec des serviettes et un sceau d'eau, le lava délicatement. Elle l'habilla d'un beau costume augustin :

-Voilà mon amour, tu es beau, comme au premier jour.

Elle déposa ses mains sans vie, sur le bas de son torse, en croix. Maintenant, propre et habillé, Salim semblait en paix, dormant d'un sommeil calme, comme un enfant. Puis un garde arriva. Cela faisait deux jours que Salim était mort. L'information était maintenant connue de tous :

-L'Allénie a envoyé un bateau. Le corps doit partir. Prévenu le garde.

Saphira embrassa une dernière fois les lèvres froides de Salim :

-Ce n'est pas un adieu. Je te vois bientôt. Je t'aime.

Puis elle s'écarta. Les gardes prirent le corps et quittèrent la cellule. Saphira était seule à présent. Seule pour toujours.

Damir accompagna le corps de son frère jusqu'au navire Allénien qui attendait dans le port de Diavie. Les Augustins avaient reçu l'ordre de ne pas attaquer ce navire en question. Damir fit un salut militaire devant le cadavre de Salim avant de laisser le bateau lever l'ancre. Damir comprit qu'en perdant Salim, il avait définitivement perdu Saphira. Il pensait qu'en éliminant son principal rivale, elle serait toute à lui. Mais maintenant c'était contre un fantôme qu'il se battait, personne ne peut gagner contre un fantôme. Personne. L'embarcation au loin, Damir retrouva sa femme. Saphira était inexpressive. Damir lui dit :

-Viens. Je vais t'enfermer dans tes anciens appartements au palais.

-Non.

-Comment cela non ?

-Je veux rester ici. Salim est mort ici. Je veux rester ici.

-Ne dis pas n'importe quoi ! Garde ! Appelez un médecin ! Elle est capable des pires choses à présent ! Et je veux mon enfant !

-Ne t'inquiète pas. Je n'en veux pas.

Damir lui mit une claque. Saphira ne protesta pas. Elle n'avait plus la force de faire quoi que ce soit à présent. 


Les Seigneurs de Fallaris   Tome 1: AllénieWhere stories live. Discover now