Chapitre XVI

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 Un domestique, pincé et froid, tendit un plateau en argent brillant, qui servait à transporter des coupes d'une boisson inconnue, vers Salim. Ce dernier refusa. Il ne savait pas à quoi s'attendre. Il aimait l'Iulia. A ses côtés Elizabeth discutait avec une femme qu'elle avait nommée: Charlotte. Salim ne savait pas qui étaient ces personnes qui venaient l'accueillir dans un des petits palais de Rebourg. La résidence du ministre des Affaires Etrangères était à quelques pas du port, c'était sa demeure privée et il avait proposé à Vladimir Ier de recevoir le fiancé d'Elizabeth chez lui. Charlotte était sa femme, selon ce que Salim avait compris. Il y avait énormément de monde autour de cette grande table en verre où reposaient des assiettes encore vide et des verres pleins de cette boisson à forte odeur. De plus il avait été obligé de se changer et de porter un uniforme allénien. Un de ces costumes étranges avec ces pantalons serrés, rentrés dans une paire de bottes brillantes, et une de ses vestes fermés jusqu'au col avec des boutons étincelants. Il n'aimait pas cela. Il préférait les habits de son pays, les vêtements larges, colorés et confortables. Ici, tous étaient froids. Le repas auquel il assistait était saccadé, dirigé et les gens étaient droits et calmes sur leurs chaises, pesant leurs mots et leurs sourires, loin de la spontanéité propre à l'éducation des Augustins. De ce fait il ne disait mot. Elizabeth parlait pour lui. La dizaine d'Alléniens à table étaient intrigués par ce jeune homme venu d'ailleurs pour épouser leur Princesse. Justement celle-ci essayait de garder l'attention sur elle afin que Salim soit plus tranquille :

-Là-bas, raconta-t-elle avec entrain, le peuple approche les souverains, comme-si ils étaient des êtres normaux.

A ces paroles Salim grimaça et ne put s'empêcher de dire :

-Mais nous sommes des gens normaux !

La table se crispa subitement et fixa le Prince. Il ne rougit pas. Il resta campé dans ses positions :

-Ce n'est pas parce que nous portons la charge du pouvoir que nous sommes inhumains, divins, nous restons des Hommes. Je suis Salim avant tout et Prince après.

Personne ne dit mot. Salim sentit Elizabeth trembler quand soudainement quelqu'un dit :

-Le pouvoir n'est-il pas une forme de force divine ?

Tout le monde se leva et s'inclina doucement. Salim ne comprenait pas mais fit de même. Un homme, grand, pâle, le visage carré, des yeux foncés et grands, une barbe maîtrisée, un nez légèrement imposant sur une face harmonieuse. Il sourit. Ses vêtements trahissaient sa condition. Salim compris qu'il avait face à lui Vladimir Ier, l'Empereur d'Allénie et son futur beau-père. Loin de vouloir mettre fin à une discussion si intéressante Salim dit :

-Je ne pense pas. Le pouvoir n'est pas une charge divine. La religion et le pouvoir sont deux forces distinctes, appliquées par deux personnes distinctes.

Elizabeth, debout près de Salim, lui mit un coup de coude. Vladimir pouffa. Il tendit sa main vers Salim :

-Bienvenu dans votre nouvelle maison.

Salim serra la main de l'Empereur. Après cette rencontre, tous retournèrent à table avec la compagnie de Vladimir. Salim put aisément constater qu'Elizabeth ressemblait à son père, hormis la forme du visage. Ils avaient exactement les mêmes yeux et le même air lorsqu'ils se concentraient. Lors du repas Vladimir n'adressa pas la parole à Salim. A la fin il se retira avec son ministre des Affaires Etrangères. Salim resta avec les autres Alléniens dans un salon où les hommes fumaient et les femmes papotaient. Le Prince Augustin ne fumait pas et ne parlait pas. Il s'assit sur un fauteuil l'air hagard. Il pensait à Saphira et à la peine qui devait la détruire doucement. Brusquement il se leva et sortit du salon. Elizabeth le regarda partir dans le retenir, sachant ce qui le chagrinait ainsi. Il s'isola au bout d'un couloir, prêt à pleurer et à crier. Il désirait retourner en Auguste et aimer Saphira comme il se l'était promis. Il se calma en respirant bruyamment :

Les Seigneurs de Fallaris   Tome 1: AllénieWhere stories live. Discover now