Chapitre XIV

278 35 0
                                    


Les domestiques avaient emballés la totalité des affaires du Prince Salim. Celui-ci d'un air totalement absent restait statique au milieu de ses appartements qu'il quittait avec une peine si grande que sa respiration était faible. Il n'arrivait pas à concevoir ce changement, il passait de Prince Augustin à Prince d'Allénie. Il perdait son identité propre pour devenir un autre qu'il ne connaissait pas. Il jeta un coup d'œil aux meubles, armoires, commodes maintenant vide. Il s'approcha d'un miroir posé sur un meuble et il en effleura le cadre abimé. Il était perdu. La nuit dernière avec Saphira il avait éprouvé un vif sentiment de culpabilité vis-à-vis d'Elizabeth. N'était-elle pas sa fiancée maintenant ? Néanmoins il savait que lorsqu'il se marierait il ne pourrait pas oublier Saphira. Il était lié par les cordes du devoir envers sa patrie et anéantit par l'amour qu'il donnait à la Grande-Duchesse. Devant le miroir il se regarda, et pour la première fois il se demandait qui était face à lui. Il lui semblait que son âme était en dehors de son corps et qu'elle le contemplait comme un étranger. Il n'était plus lui. Il ne se connaissait plus. Brusquement son attention fut détournée lorsque Saphira arriva telle une furie dans les appartements de son amour :

-Partez ! Ordonna-t-elle aux domestiques qui bouclaient les bagages.

Les employés, peureux et dociles, quittèrent avec hâte la pièce :

-L'agressivité dont tu fais preuve envers eux est inutile. Tempéra Salim. Pourquoi agis-tu de la sorte ?

-A ton avis. Soupira-t-elle. A ton avis.

-Viens donc.

Il ouvrit ses bras, elle s'y logea précipitamment. Elle l'enlaça si fort qu'il crut étouffe, mais cela fut si agréable qu'il aurait pu mourir dans ses bras. Qu'importe. Il ne pleura pas malgré que ce contacte ressemblait à un adieu. Elle, au contraire, elle versa des larmes avec une abondance croissante. Subitement Salim eut peur, très peur, pour elle. Elle était forte mais perdait pied peu à peu. Plus Salim s'éloignait plus elle vivait dans le flou. Elle n'avait que lui, il n'avait qu'elle et pourtant tout changeait maintenant :

-Tu viendras me voir. Murmura-t-il pour la rassurer.

-Qu'elle femme autoriserait une autre femme à venir voir son mari ? Ria–t-elle faussement.

-Alors je viendrais. Dès que je pourrais, je te le jure.

Ils l'embrassèrent longuement, leurs langues fuyantes et ardentes valsaient avec désir et force. Quelqu'un frappa à la porte et dit :

-Votre Altesse, on vous attend pour le départ.

C'était un domestique parmi tant d'autre qui avait eu la dure responsabilité de prévenir le Prince. Saphira caressa les cheveux du jeune homme comme elle l'avait toujours fait depuis leur premier baiser, il y a tant d'année. Elle partait du haut de l'oreille et descendait doucement vers le cou. Il frissonna. Plus jamais il ne ressentirait cela, ce désir, cet amour, il s'éloigna d'elle avec peine. Il le regarda, elle pleura, il lui embrassa les mains et quitta la pièce. Saphira se jura de ne jamais abandonner, c'était pour elle qu'il acceptait ce mariage, pour assurer la pérennité du Nouveau-Duché et la stabilité pacifique de l'ensemble du continent. Un sacrifice qu'elle avait bien l'intention de tourner à son avantage. Elle rentrait en ce jour dans son pays.

Salim salua son père, Damir et les autres membres de sa famille. Une réelle émotion berçait le palais qui voyait son Prince le plus généreux et exemplaire partir. Néanmoins les plus affectés étaient sans aucun doute les habitants du royaume. Le Prince Salim était le plus aimé des princes de sa génération. Sûrement parce qu'il était discret et souriant, rien de plus. Cependant cela semblait impossible pour Damir et sa noirceur naturelle. De plus les conditions de naissance de Salim maintenaient autour de lui une certaine légende qui affirmait que le fruit d'un vrai amour ne pouvait qu'être un homme bon et généreux. Alors dehors, devant les grilles du palais, une foule incommensurable hurlait en appelant son Prince et en espérant l'accompagner une dernière fois. Il les salua de loin avec un petit signe de main :

Les Seigneurs de Fallaris   Tome 1: AllénieWhere stories live. Discover now