Chapitre IX

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Le deuil national fut proclamé. Le corps de Salim arriva au palais Semaine à Rebourg et fut exposé durant plusieurs jours dans la cathédrale du palais. Durant les premiers jours Elizabeth avait totalement disparu. Cyril cherchait sa sœur dans chaque recoin du palais sans la trouver. De plus il devait assurer la continuité du pouvoir, sa sœur étant introuvable et incapable d'assurer sa fonction. Cyril devint Empereur le temps du deuil d'Elizabeth. Il signait des papiers par centaines sans comprendre. Il écoutait les Ministres sans entendre, ou l'inverse, il ne savait plus. Entre Lana, leurs disputes, sa jalousie car elle vivait avec Hermann, la perte brutale de Salim, le deuil d'Elizabeth....Cyril n'en pouvait plus. Comment son père avait-il assuré cette fonction durant tant d'années ? Ce que personne ne savait, à part ses plus fidèles gardes, c'était qu'Elizabeth passait ses journées dans la cathédrale, surveillant le corps de son mari. Elle n'arrivait pas à croire à cette mort. Le soir, quand les portes se fermaient au public venu se recueillir en nombre, Elizabeth restait seule avec Salim. Elle n'osa pas le toucher. Ce n'était qu'un corps. Elle en avait peur, c'était comme déranger Rey ou la mort elle-même. Elle était là, assise près du cercueil ouvert, habillée de noir, priant chaque minute que Rey accueille cette âme si bonne dans son repère éternel et divin. Puis au bout du quatrième jour, Elizabeth sortit de la cathédrale et réapparut sur le devant de la scène. Cyril sursauta quand elle rentra dans le bureau du palais Semaine un soir :

-Elizabeth ! S'écria-t-il. Tout va bien ?

-C'est fini Cyril, tu peux partir.

-Tu es sûre ? Cela ne fait qu'une semaine qu'il est mort.

-Le pouvoir n'attend pas.

-Ainsi c'est bien là le problème. Murmura Cyril.

-Que veux-tu dire par là ?

Cyril sursauta. Il ne pensait pas que sa sœur l'aurait entendu :

-Je veux dire par là que ton amour pour l'exercice du pouvoir t'empêche de donner ton amour aux autres. Dont à Salim et surtout à ton fils.

Brusquement Elizabeth mit une claque à son jeune frère. Il fut si surpris qu'il tomba sur le sol du bureau impérial, choqué, en colère mais aussi craintif :

-Pourquoi ? Demanda-t-il.

-Ne me manque jamais de respect ! Je suis l'Impératrice !

-Que vas-tu me faire ? M'envoyer à l'étranger comme Mère ! ? Ou pire me tuer ?

-Ne me donne pas d'idée ! Répliqua Elizabeth. Sors ! Sors ! Je ne veux plus te voir !

Cyril se redressa et quitta la pièce en courant. Il n'avait qu'une envie : voir Lana. Cette dernière n'avait pas vu Cyril depuis plusieurs jours à cause de son rôle éphémère d'Empereur. Hermann était là, dans l'appartement, quand le Prince arriva. Cyril avait l'impression de vivre un ménage à trois ce qui le rendait irritable constamment. Cela alimentait ses nombreuses disputes avec Lana. Hermann s'éclipsait vite dès que Cyril était là. Leur amitié était mise à rude épreuve depuis qu'ils étaient amoureux de la même femme :

-Ma sœur a repris le pouvoir aujourd'hui. Dit Cyril à Lana.

Ils dînaient, tous les trois, c'était un rituel qu'ils avaient installé afin de garder une entente cordiale entre eux :

-Elle s'est déjà remise de la perte de son époux. S'étonna Lana.

-Je pense que le pouvoir l'aide à oublier son humanité. Elle voit à peine Daniel. Rajouta-t-il.

-L'ambiance en Allénie est si mauvaise. Dit Hermann. La guerre, le deuil, le despotisme de l'Impératrice. La vie est devenue si triste !

-A ce propos, Laurel va passer demain. Prévenu Lana. Evite d'être là.

Elle parlait à Cyril :

-Il va voir ton ventre. Il va poser des questions. Dit-il.

-Tu sembles oublier, mon chéri, que je suis mariée. Plaisanta Lana. Laurel ne demandera rien. Il pensera qu'Hermann est le père.

Cyril ne dit mot sur ce fait :

-Demain c'est l'enterrement de Salim, donc je ne passerais pas par ici, ne t'inquiète pas. Expliqua-t-il.

Hermann ne supportait plus cette vie. Aimer une femme qui en aimait un autre, avoir enduré les pires souffrances pour elle, et que faisait-elle ? Elle fricotait toutes les nuits avec le Prince. Un homme qui ne pourrait jamais l'épouser ou tout simplement vivre normalement avec elle. Le monde changeait autour de lui, il le percevait, et il en avait assez d'être le larbin de Cyril Moscov et le faux mari de Lana Ronor. Néanmoins il n'arrivait pas à s'exprimer. Son mal être le pesait, mais il préférait attendre que tout se calme. Comme il le disait si bien, l'Allénie va mal et cela ne servait à rien d'en rajouter une couche. Alors il mangea dans le silence mais à l'intérieur de lui, des cris n'attendaient qu'une chose : sortir.

A l'aube le rite funéraire débuta. Le Prince Salim, soigneusement embaumé, fut conduit jusqu'à la Basilique Alexie. Le convoi fut long, plus de quatre heures durant lesquelles le peuple put contempler le corps sans vie et découvert du brave général Salim mort sur le front. Derrière la calèche où il se trouvait sa veuve et son beau-frère suivaient, à pied. Le silence accompagnait cette marche. Elizabeth avait recouvert son visage d'un voile noir épais, traînant ses pieds, baissant la tête. Une tristesse immense l'envahissait. Elle avait respecté les dernières volontés de Salim : être enterrée en Allénie mais selon les rites Augustins. C'est-à-dire l'embaumement, et une mise sous verre du corps, que tous puissent le voir. Comme il en est de tous les princes et Tariq d'Auguste depuis des années. Ainsi Elizabeth aura le plaisir de voir la jeunesse de son mari mort trop tôt pour toujours à travers son cercueil en verre. La Basilique immense et imposante se dessina devant eux. A l'intérieur les invités se levèrent tous sur le passage de cercueil porté par six soldats ayant servis sous les ordres de Salim. Ils le déposèrent juste devant l'autel. Les chants débutèrent. Les gens se levèrent, sauf Elizabeth, qui en tant qu'Impératrice n'avait pas à le faire. Cyril la regarda. Il eut une soudaine envie de la prendre dans ses bras, de la consoler, malgré la haine qu'elle lui inspirait. La cérémonie s'acheva. Les soldats reprirent le cercueil et s'avancèrent vers la pièce adjacente qui servait de lui de repos éternel des membres de la famille impériale. Cyril fit un salut devant l'épigraphe de son père et assista à la fermeture du cercueil de Salim. Un grand couvercle en verre épais et incassable ferma le tout. Un nouveau chant débuta et Salim allait reposer ainsi pour toujours. Elizabeth se pencha vers son frère :

-Allons-y. Je n'en supporterai pas plus.

Elle partit, fendant la foule d'invité qui s'était massée devant l'entrée de la pièce. Cyril dut déclarer la cérémonie achevée et demanda à tous de sortir. Il se retrouva rapidement seul dans cette pièce qui serait un jour le lieu de son repos éternel. C'était une grande pièce, chaque pan de mur était recouvert d'épigraphe avec juste derrière les cadavres ou squelette d'Empereur, de leurs femmes, d'Impératrice, de leurs enfants. Cyril put revoir son arbre généalogique en quelques minutes, mais ne resta pas longtemps. Cet endroit l'angoissait terriblement, surtout avec le corps de Salim qu'il pouvait voir, observer, comme s'il était encore vivant, et juste endormi. 


Les Seigneurs de Fallaris   Tome 1: AllénieWhere stories live. Discover now