Chapitre XVIII

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L'arrivée au port dévasté de Diavie fut compliquée pour le jeune Prince Salim qui observait d'un œil triste cet endroit qu'il avait connu beau et raffiné, où des marchands basanés échangeaient souvent des épices et tissus onéreux. Maintenant le port n'était d'un ensemble de carcasse de navires sabordés et rouillés. Il descendit de l'embarcation qui l'avait prise au port de Massoa, et scruta l'horizon. Une fumée constante recouvrait les ruines de la capitale attaquée de toute part il y a peu de temps. Rien n'était comme dans les souvenirs de Salim, tout était mort, morne, sans vie, anéantie, toute forme de vie semblait avoir été annihilée, soigneusement par le Prince Damir qui accueillit, non sans froideur, son jeune demi-frère :

-Tu as fait bon voyage ?

-Ne fais pas comme si cela t'intéressais. Répondit Salim avec aigreur.

-C'est qu'il se rebelle le petit. Ironisa son frère. Tu viens voir les dégâts ?

-Je vois que tu as bien travaillé. Quel massacre !

-Arrête je vais rougir.

-Ne sois pas stupide. Allons, j'ai un traité à signer. Allons-y.

Ils montèrent à cheval. Et ce fut la pire traversé de Diavie que Salim n'eut jamais connue. Tout était dévastation, cruauté, pauvreté, la ville était déserte, elle qui auparavant était l'une des plus prospères du Sud. Salim eut presque envie de fermer ses yeux jusqu'à son arrivé sur le lieu de signature. Il avait envie de disparaître de cet endroit horrible et inanimé. Les chevaux devaient évités avec soin les objets qui jonchaient leur chemin, les routes étaient détruites, les maisons dévastés, et la population se cachait où elle pouvait à la vue de la délégation des gagnants. Le seul monument majestueux, qui régnait toujours en maître sur la ville, perché sur une colline, était le célèbre palais de la Reine Saphira. C'était là que Salim avait rendez-vous avec le Général Sélène. Ce dernier s'était occupé des clauses du traité où Salim n'avait plus qu'à apposer sa signature. Subitement les chevaux furent ralentis par une immense file d'attente devant les grilles du palais :

-Que se passe-t-il ? S'enquit Salim.

Il se tourna vers son frère et son escorte :

-C'est ici que ce fait le rationnement. Ils attendent la livraison du jour. Expliqua Damir. Poussez-vous !!

Il hurlait littéralement sur la foule composée essentiellement de femmes et d'enfants. Il sortit même son sabre de son fourreau et le brandit, menaçant. Les gens s'écartèrent rapidement par crainte. Enfin Salim, Damir et leurs gardes pénétrèrent dans le palais presque intact malgré quelques portes défoncées par des béliers lors de l'attaque. Salim descendit de cheval, et proclama intérieurement qu'il était véritablement en deuil. Voir Diavie ainsi le bouleversait. Comment tout ce que nous avons connu peut s'effondrer d'un coup ? En si peu de temps ? Il n'arrivait pas à y croire. C'était un véritable cauchemar. Damir pressa Salim, car tout le monde les attendait dans la salle du trône. En effet dans l'imposante pièce richement décorée, ils retrouvèrent plusieurs généraux du Nouveau-Duché et Sélène qui éprouva une véritable joie en revoyant son supérieur. Il salua Salim d'un signe militaire et ne put réprimer un sourire. Ils se serrèrent la main avant de s'avancer vers une grande table. Il y avait une bande de journaliste de tous pays confondus qui les attendaient calepin et crayon en main. Salim se pencha vers le traité qui n'avait pas véritablement de nom. De ce fait le Prince lui choisit une dénomination qui devait rentrer dans l'histoire : Traité de Partage du Nouveau-Duché, dit aussi Traité de Dévastation. Salim souhaitait marquer l'ambiance malsaine et horripilante qui embaumait le pays. Le contenu était simple, le moitié Nord appartenait désormais à l'Allénie, et la moitié Sud à l'Auguste. Une frontière fut dessinée sur une carte et tous furent rapidement d'accord. Salim signa, Damir signa, ainsi que les généraux du Nouveau-Duché, maintenant mort. Existaient à présent le Duché du Sud et le Duché du Nord. Damir et Salim firent une déclaration aux journalistes et se serrèrent la main avec amabilité, faisant bonne figure aux yeux du monde. Une belle mascarade ! Damir haïssait réellement son frère. Plus Salim prenait de l'importance en Allénie, plus il le détestait. Enfin ils passèrent à table avec les généraux défaits et Sélène. Ils déjeunèrent dans un petit salon du palais, très simple, calme, ayant une vue imprenable sur la baie de Juin, où circulaient encore quelques bateaux de pêches. Salim mangeait près d'un Nouveau-Duc qui ne semblait pas attristé par la défaite cuisante, il goutait à tout sans se priver. Salim lui posa une question, celle qui lui brûlait les lèvres depuis son arrivée :

-Avez-vous des nouvelles de votre Reine ?

-Il n'y a plus de Reine mon frère ! Intervenu Damir. Ici, nous sommes en territoire Augustin !

-Certes. Dit Salim. Mais savons-nous où elle se trouve ?

-Il y a des rumeurs. Dit l'un des généraux. Beaucoup parle du Monterre ou du Romaland, les pays les plus proches. Le Monterre parait être le meilleur choix, c'est la nation la plus ouverte à tous. Un pays très compréhensif.

-En effet. Pensa Salim. J'espère qu'elle aura eu l'esprit d'aller là-bas.

-N'espère pas trop mon frère. Ria Damir. Pour t'avoir aimé, elle manque cruellement d'intellect. Je me suis toujours demandé la raison de cet amour si stupide et irréfléchi.

-Tais-toi !

Salim se leva brusquement de sa chaise et toisa d'un regard noir son frère :

-Tu ne peux insulter notre relation de la sorte, tu ne peux pas comprendre. Répliqua-t-il. Je t'interdis de prononcer un mot de plus.

-Voyons ! S'excita Damir. Je dis ce que bon me semble ! Cette histoire entre elle et toi, va faire sombrer le monde ! Regarde à l'extérieur ! C'est ta faute ! Si tu n'avais pas couché avec elle, alors la guerre n'aurait pas éclatée ! Tu es un idiot ! Un véritable idiot !

-Tais-toi ! Hurla Salim.

-Vois la vérité en face ! A cause de toi, nous sommes perdus !

Tout à coup Salim sauta sur son frère par-dessus la table. Les verres se renversèrent, les assiettes tombèrent sur le sol, et les mains de Salim entouraient le cou de Damir qui suffoquait. Brusquement ce dernier se dégagea et frappa son frère au visage. Salim bascula en arrière et tomba sur le sol. Il avait le nez en sang mais continua son attaque et attrapa Damir. Il lui assena un coup dans le ventre. Sélène tenta d'intervenir mais Damir le repoussa avec vergogne. Ce furent les généraux du Nouveau-Duché qui séparèrent les deux Augustins. Damir tenta de se dégager mais ils étaient plus nombreux :

-Espère d'incapable ! Vociféra Damir.

Salim ne répondit pas. C'était la première fois que sa colère prenait le pas sur sa raison. Et il avait détesté cela. Il se sentait mal, très mal, il avait été transcendé par sa haine envers son frère. Jamais il n'avait été dépassé par ses sentiments, lui qui se contrôle si bien. Il décida de s'isoler et quitta rapidement le repas, les larmes lui montaient aux yeux. Réfugié dans une des chambres, il essaya de reprendre ses esprits, mais Saphira les hantait constamment, à chaque coin du palais, dans chaque couloir, il avait l'impression qu'elle l'observait, ou l'attendait. Et à chaque coin, ou dans chaque couloir, il espérait la croiser saine et sauve, le ventre arrondi en bonne santé...Salim était perdu. Il ne se comprenait plus. Il ne s'aimait plus. Abandonner Saphira, frapper son frère, ce n'était pas lui tout cela. Non, c'était un autre. Il secoua sa tête, la mit entre ses mains et la serra :

-Calme-toi. Murmura-t-il pour lui-même. Calme-toi.

Pourquoi n'avait-il pas emmené Saphira avec lui lors de sa fuite ? Il l'aurait placé en sécurité, dans une habitation correcte, loin de tout, mais près du monde, où elle aurait pu vivre, car malgré son amour disparu, Salim éprouvait une vive affection pour ce qu'avait été leur relation. Celle qui était morte durant sa captivité. Etait-ce à ce moment-là qu'il avait basculé dans une profonde noirceur ? du moins c'était ce qu'il pensait. Il leva le regard et tomba sur un des nombreux miroirs qui composaient la pièce. Qui était-il à présent ? Il était devancé par sa propre apparence comme à l'extérieur de son corps, son âme le contemplant en se demandant avec sincérité « qui es-tu ? ». Brusquement on frappa à la porte et Sélène entra de sa démarche fatigante, ses petits yeux d'un bleu magnifique et hypnotique surveillant le jeune Prince :

-Tout va comme vous voulez Votre Altesse ?

-Evidement que non. Soupira Salim. Nous devons retrouver Saphira, l'Empereur m'en a donné l'ordre.

-Je vais envoyer une délégation au Président du Monterre. Nous saurons bientôt si elle est là-bas. Promit Sélène. Ne vous tracassez pas. C'est une femme forte.

-Cela me rassure autant que m'effraye. Qui sait de quoi elle est capable ?

-Pour vous, elle peut accomplir le pire comme le meilleur.

Salim soupira encore. Il leva les mains au ciel et hurla. Sélène le laissa, le Prince était en train d'exorciser sa colère enfouit depuis si longtemps, trop longtemps. 




Les Seigneurs de Fallaris   Tome 1: AllénieWhere stories live. Discover now