Troisième Partie: La Chute. Chapitre I

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Il avait l'impression de revivre un passage de sa vie. Ici, devant les troupes, qui, à l'inverse de la dernière guerre le considéraient comme un héros, un résistant et non une cause de leur malheur croissant. Salim traversa à pied, sous la pluie le pont du bateau Allénien sur lequel il était le capitaine. Il avait voulu changer, passe de terre à mer, car il connaissait bien la flotte d'Auguste. Il savait ses faiblesses, ses points forts. Il pleuvait tellement que le gris enveloppait l'air de son humidité gênante. A peine les marins le reconnaissaient alors qu'il parcourait le pont clissant en ferraille. Puis il arriva près d'un homme qui guettait difficilement l'horizon, les nuages étaient si bas, la pluie fine et vile :

-Là mon Capitaine. Dit-il à Salim.

Il lui prêta sa longue vue, que Salim plaça sur son œil valide, et montra du doigt un léger point noir sur l'eau. Salim claqua sa langue dans son palais :

-Ils sont si proches. Constata-t-il. Pourquoi n'attaque-t-il pas ?

-Ils attendent que nous le fassions.

-Non. Damir n'est pas comme ça.

Salim sentait au fond de lui que quelque chose se préparait, quelque chose de mauvais :

-Dites aux troupes d'être prêtes. Nous ne bougerons pas, mais j'ai un mauvais pressentiment.

L'homme dit « oui » de la tête avant de disparaître. Salim était capitaine du plus gros bateau de guerre de la flotte Allénienne. Il était sur la mer de Juin à quelques kilomètres de Massoa. Là, accoudé à la rambarde mouillée de l'avant de navire, Salim repensait aux circonstances qu'ils l'ont amenés ici. La fin du couronnement, l'annonce de la guerre, la réquisition rapide d'homme pour le front, la volonté de Salim de gagner Massoa, les larmes d'Elizabeth, et la satisfaction dans le regard de Cyril. A partir de quel moment a-t-il commencé à haïr sa sœur ? Brusquement le sol trembla :

-A terre !! Hurla un homme.

Salim se jeta sur le sol et se couvrit la tête avec les mains. Les Augustins les bombardaient. Salim se redressa précipitamment, trébucha à cause de l'eau sur le pont et courut jusqu'au poste de commandement. Là les hommes étaient débordés :

-Mon Capitaine ! Nous attendons vos ordres !

-Où sont-ils ?

Salim s'approcha de la vitre devant lui et vit que le navire augustin arrivait droit sur eux :

-Mais que font-ils ? Soupira paniqué un marin.

-Barre à Tribord ! Ils nous foncent dessus ! Vociféra Salim.

Celui qui avait la barre la tourna de toutes ses forces :

-Gardez le cap ! Préparez les canons ! Continua Salim.

Il sortit et donna ses ordres. Tous les soldats sortirent les canons et préparèrent les boulets. Les Augustins étaient très prêts et les coups de feu retentirent dans au milieu de la mer. Les boulets fendaient la pluie, apportant une lumière furtive accompagnée d'une odeur de poudre. Les hommes tombaient par dizaines dans les deux camps. Les blessés étaient rapportés dans les cales, en attendant. Les médecins de bord étaient désemparés. L'Allénie n'était pas prête à cette guerre. Un projectif augustin frôla Salim et explosa à quelques centimètres de lui. Il fut projeté sur le sol et sa tâte heurta un mur froid et brut. Il sombra de l'inconscience.

Sur terre Damir avança avec ses troupes. Il avait passé la frontière et était maintenant bloqué par les troupes d'Allénie qui attendaient le renfort de Garmanie. Et Damir n'allait nulle part sans Saphira. Celle-ci restait cachée dans une grande tente somptueuse plantée au gré des avancements de l'armée. De temps en temps, mais trop souvent à son goût, son répugnant mari venait lui rendre visite. Et il lui arrivait de vomir après son départ, de dégoût. La guerre, Damir, l'éloignement de son fils, tout cela la rendait folle. Mais le pire restait à venir. Alors qu'une énième offensive eux-lieu un ami de Saphira fit son apparition et pénétra dans la tente :

-Votre Majesté !

La magnifique jeune femme, dont les déboires n'avaient pas affectés la beauté, se tourna vers l'homme qui prononçait ses paroles :

-Colpaille !

Le Général se mit à genoux devant elle. Il était habillé comme un simple civile, terriblement amaigris, faible, le teint halé à cause du soleil :

-Redressez-vous mon ami !

Il se releva. Elle lui embrassa la joue malgré la saleté de son apparence. Une question la tracassait :

-Où est Rafael ?

-Dans une famille au Monterre. Il va très bien. Vous pouvez leur écrire, j'ai leur adresse.

Brusquement Saphira lui mit une claque si violente qu'il chuta, surprit et désemparé :

-Tu es un fou !! Laissez mon fils chez des inconnus !! Pourquoi as-tu fais ça ? Pourquoi ?

Colpaille pleurait presque, épuisé par son voyage du Monterre à l'Allénie, et choqué par la réaction de la femme qu'il aimait :

-Car je devais vous retrouver !

Saphira, dont la colère montait de minutes en minutes, tenta de se calmer en vain. Colpaille avait abandonné son fils, sa seule preuve de l'amour de Salim, son seul lien avec l'homme qu'elle aimait. Colpaille resta à genoux sur le sol de la tente :

-J'ai vu le Prince Salim.

-Où ? Demanda Saphira.

-Au port de Massoa, il embarquait en tant que Capitaine d'un navire de guerre.

-Ainsi, lui-aussi fait la guerre. Quel malheur.

-Sa femme est enceinte.

-Quoi ?!! Hurla Saphira. Comment le sais-tu ?

-Les journaux Alléniens.

Saphira vit littéralement son monde s'effondrer sous ses yeux. Ce qu'elle avait donné de plus à Salim, Elizabeth allait le faire à son tour. Saphira eut à cet instant, envie de mourir, complètement, d'annihiler sa personne. Elle avait tout perdu, son fils, son royaume, a dignité et Salim. Colpaille tenta de la rassurer mais rien ne pouvait apaiser ses souffrances. Rien. Damir arriva :

-Qui es-tu ? Demanda-t-il sèchement à Colpaille.

-C'est un ami. Répondit Saphira.

-Tu n'as des amis que si je l'autorise. Partez !

Il frappa Colpaille avec le pied et l'ancien général quitta la tente au pas de course :

-Si je le revois, dit Damir à sa femme, je le tue.

-Tu ne sais même pas qui c'est ! Cria-t-elle.

-Je me fiche de savoir qui c'est ! Tout ce qui provient de ton ancienne vie doit disparaître !

-Il y a des choses que tu ne pourras jamais effacer.

Il trépigna et quitta la tente rapidement. Il monta sur son cheval et regagna le champ de bataille. Ses Généraux discutaient sous les arbres touffus de ce printemps. Ils mangeaient gaiement, sûr de leur victoire. Face à eux de l'autre côté des collines, le Général Sélène bien désemparé sans l'aide de la Garmanie. Ils virent Damir et le saluèrent :

-Sélène n'a aucune chance. Dit l'un d'eux. Il est seul contre tous. Le renfort mettra du temps à venir.

-Si vous le dites. Murmura Damir.

Le jeune Tariq faisait cette guerre pour une seule raison. Il voulait tuer de ses propres mains son demi-frère, cet homme qui lui avait tout pris, son père, son amour, Saphira...Le tuer était presque devenu une obsession, il en rêvait chaque jour depuis toujours, depuis des années, depuis le soir gelée d'hiver où Salim était né et que leur père avait pleuré de joie. Chose qui n'était jamais arrivé avant, ni après. Le Tariq avait tellement aimé ce fils, que le monde en était venu à le détester. Mais avant de le réduire à néant, il voulait tout lui prendre, le déposséder totalement. 





Les Seigneurs de Fallaris   Tome 1: AllénieWhere stories live. Discover now