Chapitre 16B:"Ne sachant pas comment faire,ni comment réagir à cet enfer"

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Ils ont tué Joan.Joan.Ma cousine de seize ans,est morte en essayant de nous libérer. On allait retrouver ses parents et les jeter dans un wagon de déportation avec nous. Peut-être même qu'on était avec elle à cause de ça tiens. Je me suis jetée sur le sol,enfin je me suis laissée tomber,penchée sur le côté,pour ainsi plus facilement me laisser aller  à la tristesse,et pleurer.Pleurer,Pleurer.Tant pis pour la dignité ou pour le patriotisme.Joan était une combative,et à cause de moi,elle est morte. Elle a été trop brave et a manqué de chance.

Jamais plus elle n'aura comme moi la chance de voir la lumière du jour.Car j'avais cette chance,de voir la Lettonie passer du printemps à l'été,de voir les fruits se rengorger,les animaux gambader,alors que nous humains on restait prisonniers.Ou peut-être avait-elle la chance de mourir aussi vite,car peut-être allait-on me torturer et me ridiculiser,pour chercher à me faire avouer des crimes que je n'ai pas fait,et là ensuite,ils me tueraient.Mon courage s'en allait,et l'envie de fuir revenait.

Je sais comment me donner du courage.Je me glisse doucement sur la vieille paille crasseuse,pour être face au suédois,examiner ses traits parfaits,pendant qu'il fait une petite sieste de l'après-midi,comme ma mère à l'habitude de le faire.

-Je vais repartir dehors,me confia-t-il.

-Tu seras parti longtemps?

-Eh bien,je pensais que tu partirais avec moi?

Alors que des mots de surprise quittent ma bouche,il se relaxe visiblement.Qu'est ce qu'il lui prend tout d'un coup?

Il me fait descendre au bas du wagon,arrêté à la frontière biélorusso-lettone.

-Regarde,Lana.N'a-t-tu pas envie de partir avec moi?Fuyons ensemble,je ne veux plus te voir te battre,lutter contre l'asphyxie.

Je botte son pied avec le mien,déjà à vif.

Et je regarde ce grand champ de blé qui s'étend sous mes yeux.C'est beau,c'est blond,c'est comme ses cheveux.

-Saute.fais la voix dans ma tête.

Roule toi dedans,va voir les gens,demande de l'aide.Une musique stressante,liée et rapide monte dans mon esprit comme le sang monte au cerveau,je me crispe,m'apprête à sauter,mais je me dis que je ne peux pas et me laisse tomber à l'intérieur du wagon,laissant Lasse partir seul.

Il m'a dit qu'il chercherait des vêtements pour toutes les nuits qu'il nous reste à passer dans ce wagon.Les nuits.Je les passerais toute avec lui si je le pouvais.

Les femmes commencent à sérieusement se faire du souci pour l'accouchement d'Ama.

-Non,ça ira je vous jure disait-elle,les yeux creusés par les cernes,causées par la faim,les soucis,le stress prénatal.Aussi longtemps que le train roulera je pourrais contenir cet enfant en moi.

Mais son ventre est immense,si gros que je pense qu'il doit contenir au moins des jumeaux.

-Je m'occuperais de vous,ma bonne amie,lui assura ma mère en posant une main compatissante sur l'épaule.J'ai assisté ma soeur Regina dans son accouchement...

Mais son regard se voila,avant de se vider de son eau.Elle se souvient de sa nièce de ma cousine,de tout ce travail qu'il y a eu pendant l'accouchement,de cette vie qui déjà s'est terminée,ce jour même,laissant sur terre une trace pratiquement vide.

Je me demande ce qu'est devenue mon autre cousine,Morgana Ryvaldis.Une belle file rêvant d'être vétérinaire comme je rêvais d'être chanteuse,à l'épaisse chevelure brune et à la peau vert olive,née d'un père letton,le frère de mon père,Petris Ryvaldis,et d'une mère espagnole,de Bilbao.

-Lasse!

C'était le petit cri amusé,pas du tout choqué,de la mère du suédois.Il était revenu avec des affaires,des chaussettes masculines qu'il passa aux rares hommes du wagon.

-T'en as une pour moi?lui ai-je glissé avec humour à l'oreille.

-Non,parce que je t'aime de cette façon,simple et sale,ricana-t-il avec un petit sourire en coin.

Ma respiration est instable et j'essaie de fermer la trappe,seulement elle se bloque au milieu de son chemin vers la fermeture totale.Quand je regarde vers le bas je vois la sorte de santiags de Lasse retenir la trappe.

Je n'arrivais pas à cerner Lasse.Je ne pouvais pas comprendre comment il faisait pour apparaître et disparaître aussi rapidement,comment il pouvait nous rapporter toutes ces choses.

Mais il y avait des choses qu'il ne pouvait nous offrir.J'aurais donné n'importe quoi pour une douche,pour désencrasser ma touffe de cheveux compactée par la sueur et la paille.Au passage,l'idée de voir Lasse tout nu sous une douche me fait vaciller mais c'est beaucoup trop.

-Eh bien,fit-il comme s'il avait lu mes pensées,je vais prendre une bonne douche chaude.

Heureusement pour lui et malheureusement pour moi,il s'agissait de sortir les seaux remplis de nourriture sous la chaude pluie estivale,pendant que nous restions ici à analyser la situation.

-Croyez-moi,quand le monde connaîtra la vérité,fit ma mère en véritable prophète optimiste,les autres nations viendront nous aider j'en suis sûre.Comme on dit,la vérité triomphera.

-Ah là là ,fit Markas comme s'il n'avait jamais rien entendu d'aussi bête,cessez de dire des conneries l'opinion nationale ne s'intéresse pas à une petite nation comme la nôtre.

-Les gens!cria Lasse.Il faut que je vous dise.Nous sommes presque arrivé en Biélorussie.

-Oh.

C'est tout ce que j'ai pu dire.

-M'aimes-tu?demanda-t-il.

-Spécialement,j'ai répondu en cambrant ma silhouette à la fois maigre et baraquée.

-Merci beaucoup.répondit-il en s'asseyant à côté de la portière,une pile de chaussettes sales devant lui.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Where stories live. Discover now