Chapitre 46A:Avril 1943.

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Je n'avais en tête qu'un seul mot,qu'un seul objectif en tête:Celui de beaucoup manger.Nous avions manqué de tout au printemps,c'est toujours après l'hiver que la famine se fait ressentir le plus.

Selon un point de vue purement théorique,je devrais consommer comme si je réalisais une oeuvre d'art,je devrais sobrement effectuer une action si rare.Les traits variaient,sur le visage des autres,en fonction de la quantité de nourriture absorbée.Soit leur visage disait

"C'est bon ça s'est fait,c'était une bonne journée"

Soit il exprimait une douleur sourde.Et c'est encore plus difficile de partager ça avec des gens qu'on aime.C'est là qu'on a le plus besoin de solitude.Je n'avais pas envie qu'ils me voient dans cet état.

-Quel crime avions-nous commis pour mériter un tel châtiment?se demandaient encore les enfants.

Moi même,je ne le saurais jamais.Je pensais que la simple appartenance religio raciale était un faux argument.Peut-être vous même Panne en savez plus que moi.

-Mais enfin,tu te connais toi-même,tu connais ta famille ,vous savez que vous n'avez rien fait de mal.

-Vous ne m'apprenez rien.

J'essayais de me souvenir si j'avais croisé Panne,de loin,en silhouette oubliable dans la forêt,pour savoir pourquoi mon nom lui semblait familier.Et pourquoi il en était de même pour la voix de Ponno.C'est à ce moment,quand je parlais de notre famine de mars 1943,que j'ai eu un flash.Je me revois dans la salle à manger de ma maison,avec mes amies Zosia et Kinga,en prenant un thé dans de grands samovars,dans le salon de ma propre maison.Il me fallut le temps de baisser les yeux,de calmer et de reprendre....

Quand j'ai eu des compagnes de chambre,j'ai tellement espéré qu'il s'agirait de Zosia,Kinga ou Irena.

-C'est pas grave,a dit Panne avec sa voix de poliçeuse d'ongle.Termine ton récit.

Tu sauras la vérité sur elles en temps voulu!

-De toute façon la normalité ne voudra pas que ce poids dans ma conscience soit révélée.Irena ne rentrera jamais de Sibérie,Zosia et Kinga sont mortes à Varsovie.Il n'y aura qu'à voir le drame de mes amis.

Panne fit encore un léger mouvement de tête,forme d'étrange approbation,avant de redemander:

-Qui est vraiment ta meilleure amie entre Zosia et Irena?

-Irena est ma cousine,je pense que c'est différent,mais si son âme était née dans le corps de Zosia nous serions sûrement amies.

Irena est forte,par contre,je ne pense pas qu'elle mourra,me suis-je reprise.sans doute patiente-t-elle avec anxiété dans une salle d'attente,adoptée par les services sociaux qui ont fini par la libérer,comme ils nous ont libéré d'Auschwitz.Peut-être retrouvera-t-elle mes cousins,ma tante,mon oncle?Peut-être aura-t-elle droit comme moi à un rendez-vous avec un psychologue extra-terrestre?

Combien sommes-nous de jeunes dans ce cas?

-Tu poses beaucoup trop de questions.

-Oui,bien sûr,les réponses sont évidentes.Je sais que ce n'est ni un hôpital ni un centre pour jeunes ordinaire.Cela fait plus de trois quart d'heures que je vous parle de rien,je déteste ça...Je ne me souviens de rien,je déteste ça...

-Bien,je vois que votre heure de parole est bientôt terminée,a-t-elle dit en regardant cyniquement sa montre.

Je vais te nourrir.

-Vous allez m'offrir un plateau repas,vous voulez dire?Vous n'allez pas me mettre une cuillère dans la bouche quand même!

-Oui,c'est ça,merci...

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En ce début de printemps...nous longions une plage.Il n'y a rien dire,à part le fête que nous étions parfaitement visible et que nous ressemblions à des naufragés,mais cette plage était si belle que je voudrais absolument y revenir.

Bien entendu,elle était,sur la partie où nous nous étions aventurés,décorée de bunkers allemands,qui feraient de beaux abris abandonnés,mais c'était un problème que nous n'avions pas pris en compte d'abord.Nous discutions sur une plage aux crépuscules,essayant de nous aider mutuellement.Nous ramenions des morceaux de bois sombres,déposés par les arbres déracinés par l'érosion des falaises,fourrés dans les herbes hautes qui forment la frontière entre la plage et la forêt.

-Comment on peut faire un feu,j'ai demandé en soulevant faiblement su sable avec mes pieds fatigués.

-J'ai eu un cours là-dessus avant qu'on m'enferme au ghetto,a dit Ania avec un sourire de connaisseuse,avant de prendre les bois et de les frotter entre eux.

-Fais attention à pas te brûler,ce serait ironique cria son frère.

Il s'attendait sans doute à ce qu'on rit avec lui,acclamant son autodérision dévastatrice.Alors que j'aime beaucoup rire aux blagues de Waldek,j'en étais cette fois ci incapable.Je me suis assise sur un arbre mort et pas encore tout à fait sec,et j'ai attendu qu'Ania parvienne à embraser le bois sans embraser sa jupe.En attendant,les deux petits enfants essayaient de ne pas boire l'eau salée,qui les déshydraterait encore plus,et regardait un coucher de soleil rose plonger sur une mer vide.

-Je suis une génie,a fait Ania.

-Mais vas-y parle plus fort,lui ai-je fait,sans bouger de mon banc,comme quand je lisais à l'école en-dessous de Zosia et de Kinga qui discutaient sous la neige,et que Waldek venait nous embêter.

-Je pense pas que c'est ça qui nous dénoncerait,si ça arrivait,a sourit Waldek.

-Mais où est-ce qu'on va dormir?Dans les hautes herbes?Ils pourraient y mettre le feu j'ai dit en frissonnant par des vagues comparables à celle de cette soirée en bord de mer.

-C'est dommage,j'espérais que tu nous chanterais un petit quelque chose...Genre hajda?

-Qu'est-ce que ça a de si terrible,Hajda?

-C'est ce qu'ont chanté les chers polonais de ton père quand ils ont brûlé des juifs à ....

-Tu t'en souviens encore?ai-je demandé après une nouvelle vague de frissons.

-Allez...Chante!a-t-il continué sur un ton un peu coquin.

Oh,très Bien...ai-je fait en commençant à battre les mains,me souvenant d'une chanson que j'ai entendu plusieurs fois aux bals populaires du collège,levant les genoux et le sable avec les pieds,et chantant d'une voix erraillée.

Waldek regrettait de ne pas avoir de guitare,alors il tapa des mains.Le soleil se couchait avec une douceur intense,une grande poésie chaude et nordique à la fois,sur ce qui ressemblait de plus en plus à un camp.Et ce petit camp,justement,avec chansons de bal populaire nationaliste,que j'emmerde au passage,enfants qui sourient,poissons cuits et soleil couchant en fond,ça ressemblait vraiment à une fête.Une fête de la jeunesse scoutiste non confessionnelle.Et ça nous faisait vraiment du bien.

Alors,où avons nous dormi au final?

Nous avions dormi sur une plage bleue,comme des cadavres qu'on croira comestibles pour des oiseaux de mer.Le sable frais nous faisait un coussin,sans que le nez n'absorbe de grains de sable irritants,et je me suis endormie,avec peut être un petit sourire.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant