Chapitre 46B:Octobre 1943.

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Parfois,je devais me forcer à manger plus.Parfois,c'était ma seule motivation,mon seul but.

Ils espéraient sans doute que la non-satisfaction d'un besoin aussi primal coupe les communications entre nous.Ils espéraient que la nourriture devienne le seul sujet de conversation entre les compagnons d'infortune ramenés dans le camp.Et parfois,ma mère ne parvenait plus à nous exprimer sa tendresse autrement qu'en maigrissant encore plus pour que nous maigrissions moins.

Quand on était à Kalmanka,il y avait une ville avec un marché peu éloigné d'ici.On pouvait y acheter du poisson et des caramels,de l'encre,du papier,des enveloppes.Et j'atteste qu'au pôle Nord,il n'y a pas de magasins.Heureusement que ça ne m'empêche pas de chanter.Que je n'ai pas besoin d'acheter ma voix.

Mes compétences,mon assiduité à effectuer un travail dont je ne connaissais ni le sens ni la logique se montrèrent à mon sens,et à celui des autres,carrément exceptionnels.Mais on a jamais vu une employée de goulag aussi motivée que Lavra.Elle espérait ainsi se faire remarquer de Kretzky.Ce qui était déjà le cas.

Plus tard,elle demandera à Nikolaï:

-Que réprésentait pour Toi Elena?

-Elle ressemblait à ma mère....

La moindre des choses aurait été alors de prendre en compte la valeur de cette femme qui lui rappelait sa mère,même si elle était mariée,et d'essayer de la sauver.Voilà ce que pensait alors celle qui se réjouira de sa mort.

Mais tout ça,en Octobre,n'avait pas encore lieu.Elena ressemblait à Lavra comme un reflet édulcoré.Un reflet plus petit,plus vieux,à la beauté plus pure et douce.Si ce ne fut les années,et la rivalité,elles auraient pu devenir amies.Mais elles se regardaient en silence,elle se demandant quel était son petit jeu,l'autre cherchant à savoir en quoi cela l'intéressait tant que ça.Elles semblait des esprits éclairés,plus sexys que ma propre mère,qui gardait sa sagesse dans un corps autrefois séduisant par son extrême fragilité,qui pourtant imposait sa présence lorsque l'on s'asseyait sur le canapé pour le développement d'une photo au noir et blanc sérieux,celui d'une famille de l'intelligentsia lettone,d'une classe riche classe et cultivée,davantage rattachée à un conservatisme purement national et sur la défensif,qui pourtant maintient une liberté total de tous les lettons quel qu'il soit,tant qu'ils vivent chez nous et qu'ils ne font pas de connerie,plutôt que de se perdre dans une hypocrite et illusoire doctrine libertaire,enfin,qui n'a de libertaire que de non,et qui défend un équilibre qui n'existe pas et qui n'est qu'un mensonge.

Autour de moi,ces visages grimacent de manque de tout.De manque de nouvelles de la majorité de la famille.Seule Viktor peut se vanter d'avoir ses deux parents,puisse-tu remercier ton père d'avoir séduit une jeune femme.

J'ai repensé à la dernière fois que j'ai vu Zita,ma vraie et réelle meilleure amie.Je n'ai jamais tenu à aucune fille,bref,à quelqu'un qui ne soit pas mon amour,qu'à elle.C'était avec elle,qu'0 Riga on pensait que rien ne pourrait nous atteindre,et pourtant,je ne pourrais jamais la suivre aux USA,dans son antre de vent violent.C'est bien simple,chaque conversation avec elle semblait une porte ouverte vers un arrière monde qui n'existe que dans ses paroles,et cette impression on appelle ça l'amour chez nous,en Lettonie.

Depuis ce qu'il m'est arrivé,j'ai du mal à parler des choses simples,et pourtant,après ce bon déjeuner dans une clinique,cela m'est revenu.La musicalité des contrastes est apparue.Merci alors,Penne,de m'avoir permis de parler de la vie de tous les jours.

Enfin,le drame qui se jouait à Trofimovsk faisait aussi partie de la vie de tous les jours.

-Ton nom est déjà inscrit dans les registres de la clinique,précisa-t-elle.Si jamais tu as besoin de moi dans la semaine qui suivra ton témoignage,contacte-moi.

Elle me tendit une carte de visite avec une lune et des étoiles qui lui garantissait un côté faussement magique.Je l'ai prise et je l'ai glissé dans ma poche,avant de lui rendre son sourire.Une énigme cette Penne,c'est comme ça qu'on dit.


Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant