l'humanité est merveilleuse,capable du pire comme du meilleur.

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9 janvier 1943.

-Sara,comment tu vas?a fait Zosia d'un ton tout bas,celui des grands départs et des grandes évasions,avant de me glisser à l'oreille une allusion,comme quoi elle me trouvait très mignonne.

-Dégage,ai-je fait d'un ton qui se voulait froid mais qui reflétait plutôt la peur.Oh pardon,ajoutai-je,tu as fait tellement pour nous...

Zosia allait nous conduire à la sortie de la ville,et je n'osais lui demander comment.

Jablonski nous attendait dans l'embrasure de la porte d'entrée,et les larmes aux yeux :

-Ainsi après tout ce que vous avez fait pour nous on se quitte.

-Oh arrête,Sara,tu attendais ce moment depuis si longtemps !

Je dus admettre qu'il avait raison.Ania est allée chercher les deux plus jeunes,qui arpentaient d'un pas lent et solitaire la cour intérieure de mon ancienne maison.Je pris Félix dans mes bras,Ania Agnieszka dans les siens,et ils avaient l'air ailleurs,peut-être heureux de leur liberté.

Enfin,ce qui devait arriver,arriva.Je pleurais.Je laissais mon bienfaiteur,notre relation ne durera pas,je ne l'ai plus revu,je ne sais même pas si il est en vie.Jablonski ne le remarquait pas,ou plutôt,affectait-il de ne pas le remarquer.C'était mon dieu.Mon dieu dans un endroit dirigé par le diable.

La mère de Zosia,elle,n'était ni diable,ni dieu c'était une polonaise.Comme Zosia.Toutes les polaks ne sont pas belles,mais quand l'une d'entre elle devient jolie en grandissant,les mâles ont intérêt à être sur leur garde.Zosia n'a pas le droit de briser des cœurs sans risquer la déportation,beau symbole,non.

Wladek était d'excellente humeur,et je surpris un sourire de reconnaissance lorsque Jablonski nous offrit de la nourriture pour la route.Sur le fil du rasoir.Je me souviens avoir savouré chez elle du chocolat au goût profond,des framboises,de la crème fraîche,du sirop de cassis,des petites brioches.

Je peux vous dire,Panne,que manger une brioche fumante quand tu crèves de faim c'est monter tout droit au paradis.

La porte se referme doucement dans le matin.Ainsi donc son rôle est fini physiquement.Je lui ai souhaité beaucoup de bonheur et je me suis barrée.

Zosia avait beau déblatérer,nous souhaiter une excellente fugue,jamais elle ne nous indiqua comment nous en sortir.Je ne voyais pas les choses avec beaucoup d'optimisme,et une peur renfluait à l'intérieur de moi.

-Sapulamerde,a glissé Ania,toujours aussi classieuse.

-De toute façon,ai-je répondu,la seule solution à nos soucis seraient l'expulsion imminente des tétards qui ont élu domicile dans notre petit pays tranquille.

-Quels tétards ?

-Un allemand !

Ania claqua violemment sa main sur la bouche d'Agnieszka pendant que j'ouvrais des yeux ronds.

Un allemand en uniforme de la Wehrmacht,aux cheveux châtains et aux yeux noirs,un air rude,une silhouette aryenne.Bon,ça ce n'est pas choquant.Ce qui était choquant,c'était qu'il tenait la main de Kinga.Je veux bien relativiser,voir le verre à moitié plein,me dire que les allemands ne sont pas tous les ordures qui ont tué ma famille,mes voisins,qui sont tous à mes trousses.

A moins que ce ne soit un polonais déguisé?C'est pas de la pure daube cette idée.

-Zosia...

-Désolé,a fait le boche sans chercher à dissimuler son accent.Elle ne vous a rien dit ?

-Quoi ?

-Je meurs chaque matin pour réssuciter chaque nuit.Je n'ai jamais voulu de tout ça.Ce que Kinga a ait elle l'a fait pour vous aider.

J'avais l'impression que la vie,derrière les frontières de cette ville,étaient derrières un fossé au bord duquel j'étais en équilibre instable,et qu'il me faudrait sauter par-dessus pour m'en sortir.

-Il s'appelle Werner Wald et il n'a jamais eu envie de vous faire de mal.Mais il en a toujours la possibilité...Si tu fais le moindre faux pas il peut faire une descente dans le ghetto,après avoir tous tués,pour écraser cette fille du haut du deuxième étage,c'était quoi déjà son nom,Halina?

-Kinga,c'est pas ce qui était convenu...

-En effet.Je me suis prostituée pour que vous puissiez sortir,et je n'ai eu qu'une tasse de thé en échange.Alors que je ne vois pas pourquoi j'irais éprouver de la compassion à l'égard d'un peuple qui de son côté n'éprouve que la haine !

Si vous aviez embrassé notre religion d'amour rien ne vous serait impossible,mais vous aimez mieux nous mépriser à ce que je vois.Devine quel jour on était il y a peu.Noël,l'épiphanie,tout ça vous vous refusez à en profiter.

-C'est pas vrai!a fait Agnieszka.

-J'ai bien vu comment vous nous voyez.Persuadé que vous êtes à venir d'une autre planète,vous ne vous considérez absolument pas comme polonais,pire encore,votre dégoût a l'air encore plus fort contre nous que contre les allemands.

-Tu ne parles que d'une personne sur mille,j'ai répondu sur le même ton.Et puis en quoi ça m'intéresserait,vos croix,vos saints,votre Jésus ?

-Je sais qu'il est juif,merci,et à quel point vous le haïssez parce qu'il vous a trahi.

-Ce type ne représente absolument rien pour moi.

-Je ne vois pas pourquoi je vous aiderais.Vous êtes persuadés d'avoir une culture infiniment supérieur à la nôtre,qu'est-ce que vous feriez pour nous ?

Je me demandais si il y avait une forme de jalousie dans son discours.Ou si elle mentait en disant ne pas aimer Werner.

-Bon,ça va,a fait Zosia,tu l'as fini ton petit coup de gueule !

-Oui,bien sûr,ça changera tout de me traiter de coup de gueule vivant.C'est que vous les juifs vous devriez comprendre que la souffrance est un passage obligé pour tout le monde.Mon père et ma sœur ont fait ce coup à la con parce qu'ils n'en pouvaient plus.Nous ne sommes pas obligés de vous aider,Juifs.

-C'est ton avis aussi?a demandé Ania,courageuse,à Werner.

-Ma situation,et la vôtre,commence à me rendre fou.Je vais vous le dire,même l'antisémite moyen ici me fout en rogne,je suis pas spécialement fan des juifs mais j'ai le sens de la justice.J'envisage sincèrement de déchirer mon uniforme et de le réduire en cendre avant de partir pour la Norvège.

Je sais,je sais Kinga,ça fait un mois que j'en parle...Mais vous ne serez pas les seuls à fuir.

Personne n'écoutait notre conversation,personne ne nous regardait,alors on est passé.Alors que mes oreilles croustillaient encore d'avoir entendu les propos de Kinga,celle-ci changea complètement de comportement.Ce n'est pas qu'elle nous a béni,qu'elle nous a offert du chocolat,ou qu'elle nous ait expliqué une tonne de trucs.Non,elle nous a enlacé,conseillé de courir cinq kilomètres,évoquant notre enfance commune,avant de faire demi-tour.Werner ajouta qu'une séance au lit foireuse avec une fille des terres conquises ne faisait pas pour autant d'elle sa maîtresse,et il est parti lui aussi,devant nous.

Il ne restait donc plus que Zosia. Immobile au milieu de la neige qui ne cessait de tomber depuis le début de l'année,vraiment belle,elle chante vraiment bien,et ce ne sont que de ringards euphémismes.Sa robe noire comme si elle allait devenir carmélite,sa croix argentée autour du cou,la neige sur ses cheveux noirs alors qu'elle chantait une dernière chanson d'adieu.Alors qu'elle semblait en transe,nous retennant longtemps,elle prononça un seul mot qui nous libéra :

-Va.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Where stories live. Discover now