Quand on se traîne au bord du gouffre,
Que l'on y saigne et l'on y souffre,
Que l'on y contemple l'abîme
Au point que rien d'autre ne rime,
Quand nos yeux plongés dans ce noir
Ne trouvent plus aucun espoir,
Que le vide enfin nous appelle
A y oublier nos séquelles,
Il n'y a qu'un pas pour le néant,
Et tout finira dans l'instant :
Une chute vertigineuse,
Une ultime vue ténébreuse,
Puis la mort mutique et glacée,
L'effacement le plus complet.
On aura vécu malheureux,
Et notre décès douloureux
Aura achevé nos tourments
Dans un dernier forfait de sang.
Tant pis pour les espoirs déçus.
Tant pis pour tous les survivants.
Tant pis pour leurs sanglots navrants.
Tant pis pour les bonheurs perdus.
Prions juste que dans la chute,
Nos corps tournoyant dans le vide,
Notre regard jamais ne bute
Contre le ciel qui nous guide,
Car nos yeux s'accrochant au bleu
Feraient là une découverte
Qui rendrait nos adieux odieux,
Nous feraient sentir notre perte,
Car celui qui perd dans le noir
Son regard et tous ses espoirs
N'a plus devant lui que l'attrait
Des ténèbres et du décès ;
Pourtant dans son dos il verrait
S'il voulait bien tourner la tête
Que partout s'étend une fête
Qui l'attend pour le délivrer,
Que sur lui s'étend le drap bleu
Sous lequel la vie s'épanouit,
Où chacun peut finir heureux
Pour peu qu'il veuille dire oui :
Oui à sourire et à souffrir,
Oui à pleurer ou bien à rire,
Oui à aimer ou bien haïr,
Oui à rester ou bien partir.
L'existence n'est pas mesquine,
Et, tant qu'on a des pas pour soi,
Chacun peut bien lorsqu'il chemine
Opter pour chacun de ses choix.
Peu importent les accidents
Dont son parcours peut foisonner,
Car, dès qu'il sera relevé,
Il croquera à pleines dents
Le gros fruit mûr de l'existence,
Buvant l'élixir de jouvence.
Celui qui oublie qu'alentour
Existe un monde plein de voies
Ne choisira jamais pour soi
Le plus épanouissant secours :
Mais tandis que son corps de larmes
Ira rencontrer le bitume
Son regard brouillé par les drames
Trouvera à travers l'écume
Un soleil radieux qui réchauffe,
Une terre qui s'offre à tous,
Une vie qui partout s'étoffe
A y cultiver ce qui pousse.
Alors quand l'attrait de l'abîme
Devient la seule de tes cimes,
Quand pour toi exister n'est plus
Qu'un chemin de croix qui te tue,
Lève les yeux loin de ce trou
Où la vie ne promet plus rien ;
Porte tes espoirs vers demain,
Où tout devient possible, tout !
Ne perds jamais de vue l'idéeQue si ce qui naît va crever,
Ce qui meurt jamais ne renaît.