Sauver les albatros

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Souvent, pour les sauver d'un odieux naufrage,


Je prends des albatros, tristes oiseaux amers


Qui vivent en souffrant au fond de nos sillages,


Et dès que l'un chavire, qu'il souffre, je le sers.



À peine est-il posé, chaud et sec sur les planches,


Que sa voix sans mesure, adroite, monte aux cieux,


Hissant pieusement les rameurs aux joues blanches


Laissant leurs avirons traîner à côté d'eux.



Ce naufragé ailé, comme il est beau et seul !


Lui, naguère si morne, il est tragique et gai !


L'un adule son bec doré comme l'éteule,


L'autre admire en boîtant l'infirme qu'il moquait !



Le Poète est semblable à l'objet des huées :


Il déchante de honte et blêmit des rejets,


Exilé par les hommes qui rient de ses lais,


Mais ses égarements nous aident à marcher.



***


Et pour le plaisir la version originale de Charles Baudelaire que j'ai pastichée :


L'albatros


Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Charles Baudelaire

Aubes et crépuscules 2/4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant