Mais qu'est donc un poème ? Une caresse en mots ?
Un chant qui fait qu'on aime ? Un cri qui mord la peau ?
Une graine qu'on sème et qui soudain éclot ?
Un rythme qui rend blême et trahit tous nos maux ?
En tout cas ça n'est pas réservé à l'élite !
Chacun peut s'y frotter, chacun peut se lancer :
Il suffit que le cœur soit assez encombré
Pour que le mot qui fuse nous mette en orbite !
Ensuite, en artisan, il te faut artiser :
Versifier à tout vent pour vaincre la girouette
Et choisir peu à peu le chemin de ta tête,
Qui connaît mieux ton cœur quand il sait l'écouter.
Varie le fond, la forme, et explore le monde,
Que ta plume et ta voix rendent ta vie féconde !
Ouvre grand ta besace, et remplis-la d'outils,
D'images et de sons, de parfums, de folie !
Puis teste tes outils, n'aie pas peur de l'erreur,
Car quand tu te méprends, chaque fois tu apprends,
Et chaque vers bancal te hisse et te surprend,
Car tu grandis déjà, depuis cette hauteur.
Ose rimer sans fards, sans apprêts, sans emprunts ;
Assume donc ta voix débarrassée des masques ;
Laisse tes mots ruer, cracher tout leur venin :
Un mot tenu en laisse offre un vers bien trop flasque...
La poésie n'est pas un bel œuf Fabergé,
Qu'on orne et qu'on sertit pour le rendre précieux,
Puis qui prend la poussière au fond d'un vieux grenier :
Le Beau ne suffit pas pour embuer nos yeux.
Le vers bien au contraire a droit à la violence,
Et s'il faut dégueuler ce qui pourrit nos âmes,
Alors il faut brailler, ne pas torcher ses larmes,
Car quand la vie nous baise, il n'y a plus d'innocence.
Maintenant que tu sais que tout devient possible,
Écoute le secret des deux pieds du poète :
Le poème est matière autant que dans la tête,
L'âme comme le corps y seront donc sensibles.
Brisons un peu le vers :
Quand on le casse sans logique,
Il perd le nerf
Et en devient bien prosaïque, sans rythmique, apathique.
Mais le rythme est bien là !
Il n'est pas mort !
Il vit encore !
... si les mots sont au pas !
Car la longueur d'un vers ne fait pas la musique,
Puisqu'il porte en son sein de plus riches rythmiques :
L'assonance est l'écho qui fait traîner la voix
Et l'allitération le battement interne,
Les deux rimant ainsi pour imposer la loi
D'un orchestre de sons venus pour vous berner !
Doublez ces musiciens de bons percussionnistes,
Qui battent la mesure en groupes ordonnés,
De sorte que les mots en cortège amenés
Animent la musique en symphonie artiste !
La bonne poésie n'est vraiment à la fête
Que si sa partition se retrouve complète :
Un poème est matière électrisant le corps,
Mais c'est aussi du sens qui vient secouer plus fort.
Le poète toujours doit offrir au public
Des mots que l'on comprend, qui vont droit à leur but,
Qui titillent les plaies, qui rallument les luttes,
Qui ressèment le rêve d'un monde magique.
Mais un poème hait qu'on le consomme vite,
Et si d'un prime abord notre œil se précipite,
Il lui faut trébucher sur quelque trouble-sens,
Un zeste de mystère incitant à la danse :
Dans la polysémie s'épanouit le poète,
Qui offre en un poème un millier de voyages
Qui sont issus des mots autant que des bagages
Que le lecteur répand chaque fois qu'il s'arrête.
Choisis la métaphore, le paradoxe fou ;
Personnifie l'objet, accumule les coups ;
Ne crains pas l'anaphore : elle donne à tes vers
Le pouvoir mystérieux des anciennes sorcières ;
Joue avec les images, les sens et les sons,
Qu'on se perde sans cesse au moment où c'est bon,
Mais que toujours ta main ne soit jamais trop loin :
On aime à s'égarer s'il nous reste un chemin !
Surtout, quoi qu'il arrive, écris, écris, écris,
Car chaque mot qui fuse allume une autre étoile
Qui guidera tes pas, qui gonflera tes voiles,
Et fera que ta plume éclairera la nuit
D'autres bouffeurs de nuit qui reprendront courage
À te voir arpenter ces nuées accessibles
Qui t'offrent leurs éclairs au milieu des orages
Et qui font de tes pas un chemin de possibles.
