Bonus 04 (2/6) - Le retour de Styrmir

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27 fauchemoisson, cité vampire de Shakel Town.

Transi de froid et de fatigue, Styrmir ne se détendit qu'en franchissant enfin les portes de Shakel Town, précédant de peu Njola et Morgun, ainsi qu'Asgeir et Hvan et leur petite troupe. Ils étaient montés jusqu'à Falconskot pour y apporter du matériel destiné à renforcer l'abri de la grande salle et réapprovisionner le dépôt de vivres. Depuis l'expédition qu'ils avaient menée au secours des naufragés de l'Arwen, trois ans plus tôt, Styrmir avait fait en sorte de préparer chaque année une expédition sur la route du nord pour vérifier l'état des refuges et des dépôts de vivres. Non seulement cela permettait un entraînement en terrain réel de ses soldats, mais en plus ils pouvaient emporter du matériel que les traqueurs ne pouvaient emmener avec eux lors de leurs excursions dans le nord.

Yrjö les avait accompagnés la première fois ainsi que l'année précédente, mais il avait été retenu une fois à Crean pour préparer une expédition dans les gorges de la Vivace, et cette année c'était une cheville malencontreusement tordue qui l'avait forcé à rester dans son village, à son grand regret. Styrmir savait qu'il avait dû très vite se remettre puisque l'entorse était bénigne, mais ils avaient tous les deux refusé de prendre de risque. Loin de se dépriser, Yrjö avait simplement reconnu qu'il ne serait d'aucune aide à l'expédition s'il partait en boitant et se blessait davantage. Il était donc resté chez lui et Styrmir était d'autant plus impatient de rentrer.

Ils s'étaient absentés pendant près de deux semaines parce qu'ils avaient passé trois jours à Falconskot pour vérifier que la grande salle était toujours abritée de la neige et du vent, et avaient prévenu de leur retour grâce aux lanternes qu'Asgeir avait pris un grand plaisir à allumer sur leur chemin. En dépit des quelques dangers qui les avaient entourés et de l'absence de son amant, Styrmir avait passé un excellent moment. Cela lui avait rappelé les expéditions faites avec Hvan et Asgeir lorsqu'ils étaient encore soldats de Falconskot, ou les premières missions avec Njola et Morgun. L'ambiance avait été joyeuse et amicale, idéale pour donner une bonne expérience aux quatre jeunes gardes qu'ils avaient emmenés avec eux.

Le seul regret de Styrmir avait été que son amant ne soit pas là, parce qu'il se serait merveilleusement épanoui dans cette franche camaraderie, avec son humour et sa franchise. Il en aurait profité pour donner quelques leçons simples aux novices, aurait plaisanté avec Asgeir, serait resté sérieux aux côtés de Hvan, et se serait lancé dans d'interminables échanges de taquineries avec Njola et Morgun, des paris idiots et des gages amusants pour faire passer le temps. Et chaque nuit, Styrmir ne se serait pas couché tout seul dans son sac de couchage auprès des novices. Certes, ils auraient dû composer avec Taïga qui se serait sans aucun doute installée sur leurs pieds ou pile dans le creux de leur dos, mais avoir la chienne à ses côtés faisait partie de ce qui rappelait la maison à Styrmir. Autant que le rythme calme du cœur d'Yrjö lorsqu'il dormait dans ses bras, autant que les blödplat de Ketil ou de Fridvin.

Un aboiement joyeux et familier illustra parfaitement ses pensées et il sourit en voyant Taïga courir vers eux à toutes pattes, ravie de les accueillir à la maison. Elle précédait de peu Ketil et Yrjö qui, s'ils ne couraient pas, étaient tout aussi heureux de les retrouver. À la vue de son amant qui avançait à sa rencontre, Styrmir oublia le froid et la fatigue. Il se redressa et son pas se fit plus léger alors qu'il franchissait la dernière distance les séparant encore pour recevoir Yrjö dans ses bras. Sans se préoccuper des fourrures givrées de son uniforme, le traqueur l'enlaça avec force et l'embrassa profondément avant de frotter son nez contre le sien. Au fil des trois années écoulées, Styrmir s'était merveilleusement aroutiné à ce genre d'accueil, lorsqu'il rentrait au palais pour y retrouver son amant qui l'attendait, ou bien qu'il s'arrêtait à Crean sur le chemin du retour, rien que pour le plaisir d'un baiser volé au passage. L'inverse était vrai aussi, il aimait être là pour accueillir Yrjö lorsqu'il rentrait d'une mission dans le nord ou ailleurs, fourbu et gelé mais souriant de rentrer à la maison.

— Venez vous mettre au chaud, les invita Ketil sans quitter les bras de Njola. Nous avons fait chauffer du sang, les recrues de la garde s'occuperont de décharger votre traîneau pendant que vous vous réchauffez.

Les novices qui les avaient accompagnés reçurent leur congé pour pouvoir rentrer chez eux, tandis que leur petit groupe se réfugiait à l'intérieur du palais. Ils purent retirer leurs vestes pleines de givre et se mettre un peu à l'aise avant de gagner le petit salon près de l'aile des gardes où ils avaient l'habitude de se retrouver tous ensemble à leurs retours. Iseldur les y rejoindrait peut-être, comme il le faisait parfois, curieux d'entendre le récit de leur expédition avant le rapport officiel que Styrmir ne manquait jamais de rédiger.

Assis sur l'un des divans, une tasse de sang chaud à la main, Yrjö blotti contre lui et Taïga couchée à leurs pieds, Styrmir se détendit jusqu'à avoir l'impression de fondre sur les coussins. Il aimait cette sensation d'être de retour à la maison, la calme certitude de savoir qu'ensuite il irait prendre un bain avec son amant et qu'il dormirait dans ses bras ce soir, au chaud et en sécurité. L'année précédente, à la suite du mariage de sa cousine Aksa, Yrjö lui avait laissé sa chambre et avait emménagé avec Styrmir dans l'aile de la garde pour les mois de Nuit. Le capitaine s'était habitué à sa présence à ses côtés, qui avait laissé une multitude de traces dans sa chambre restée si longtemps inchangée. Le tapis de Taïga s'était retrouvé devant la cheminée, de nouveaux rideaux avaient été ajoutés au baldaquin, et des dizaines d'effets personnels s'étaient mêlés aux siens jusqu'à ce qu'il lui soit impossible de déterminer ce qui était à lui de ce qui était à Yrjö.

Tout cela ne faisait que rendre plus longs les mois de Jours, lorsque le traqueur quittait la cité pour regagner Crean d'où il partait régulièrement pour s'aventurer dans les terres sauvages et abandonnées du nord. Certes, Styrmir était parfaitement conscient de ses capacités et n'avait pas la moindre envie de le garder derrière les murs de Shakel Town alors qu'il était si indispensable à ceux qui partaient à la recherche de denrées rares et précieuses au-delà de la Tumultueuse. Mais il supportait de moins en moins ces périodes de séparations qui leur étaient imposées par leurs rôles respectifs. Il avait besoin de trouver une solution, quelque chose qui leur permette de rester ensemble la majeure partie de l'année, qui lui permette de s'endormir au son du cœur d'Yrjö et de se réveiller face à ses yeux pâles embrumés de sommeil mais brillants d'un sourire.

Durant leur mission qui venait juste de s'achever, il avait interrogé Njola et Morgun, ainsi que Hvan et Asgeir pour leur demander conseil sur la meilleure manière d'obtenir ce qu'il voulait. La situation de ses amies était un peu différente, puisqu'elles étaient presque tout le temps ensemble mais laissaient Ketil derrière chaque fois qu'elles quittaient la cité pour une opération dangereuse. Cependant, leur avis s'était joint à celui d'Asgeir et Hvan qui avaient appris de leur expérience à Falconskot. Ils avaient tous les quatre été clairs sur le sujet, si Yrjö était d'accord, le mieux était de s'unir l'un à l'autre. Alors Styrmir aurait toute légitimité à loger régulièrement à Crean, et Yrjö pourrait rester à ses côtés à Shakel Town. Le village étant peu éloigné de la cité, ils seraient ainsi l'un et l'autre à proximité de leurs devoirs, sans être sans cesse séparés durant les six mois qui éloignaient l'Aurore du Crépuscule.

Ses amis avaient appuyé leurs dires avec des exemples de Vampires unis à des Humains qui suivaient leur tribu dans leur village à l'Aurore et revenaient à la cité au Crépuscule, sans être jamais cantonnés à un seul lieu. Même s'il était le capitaine de la garde, Styrmir pouvait parfaitement accompagner Yrjö dans certaines de ses excursions, ou bien l'attendre sagement à la cité, comme le traqueur venait de le faire pour lui. S'ils s'unissaient, alors cela légitimerait aux yeux de la cité leur proximité là où quelques mauvaises langues de la cour prétendaient que Styrmir passait du temps avec Yrjö en raison de son caractère tumultuaire qui ne pouvait que réchauffer sa couche. Ces ragots et rumeurs propagés en grande partie par des jaloux avaient provoqué quelque chose en Styrmir qui était résolu à demander la main d'Yrjö d'une manière qui marquerait les esprits et dont on parlerait encore dans plusieurs décennies. Et peut-être aussi que, au fond de lui, il ne voulait plus être seulement celui qui avait été Transformé sans cérémonie, que cette renommée cesse de lui coller à la peau, remplacée par celle d'être celui dont la cérémonie d'union avait été aussi grandiose et touchante que celle des princes Valbjörn et Iseldur en 3681. Le capitaine de la garde qui s'était lié au meilleur traqueur du nord, l'amour de sa vie.

Au secours de l'Arwen [Wattys2022]Where stories live. Discover now