Au secours de l'Arwen [Wattys2022]

17 - La Grotte Bleue de Rogean

« Les premiers rituels de Transformation dont on ait la trace se déroulaient dans des grottes richement ornées de peintures phosphorescentes. D'après la tradition orale, c'était un rappel de la lumière de Sékaer, et donc un symbole de l'adoption du nouveau Vampire par le dieu nocturne. »

Histoire du peuplement du Wolfyre, par Hjordis Ingerson.

***

25 fauchemoisson, ruines du village de Rogean, anciennes terres de Falconskot.

Yrjö quitta le bassin propre et réchauffé et s'approcha du feu pour indiquer à Njola et Morgun de prendre sa place. Elles se levèrent aussitôt, laissant Styrmir derrière elles. Mais au lieu de rester assis à attendre son tour, le capitaine se leva et lui adressa un drôle de signe de tête.

— Je voudrais vous montrer quelque chose, murmura-t-il. Accepteriez-vous de m'accompagner hors du refuge ? Ce n'est pas très loin.

Surpris et intrigué, Yrjö acquiesça et déposa ses affaires dans sa tente, non sans en profiter pour caresser Taïga qui dormait déjà. La chienne ouvrit un œil, releva une oreille, vit qu'il partait avec Styrmir, et se rendormit aussitôt. Amusé par sa confiance, le trappeur rejoignit le capitaine qui l'attendait avec une expression hésitant entre le sourire et quelque chose de plus doux.

Styrmir le guida hors du refuge, où l'air glacial de l'extérieur les accueillit en mordant leurs joues, le soleil éblouissant sur la glace. Il était chaque jour un peu plus bas, trahissant l'approche du Crépuscule, mais ne disparaîtrait pas du ciel avant encore deux bonnes semaines. Sans paraître hésiter un seul instant sur la route à suivre, Styrmir s'engagea le long d'une ancienne rue désormais envahie de neige et de pierres tombées des ruines. Ils longèrent le rocher, passant entre les bâtiments en grande partie détruits, jusqu'à une petite construction tenant vaillamment debout mais qui ne payait pas de mine. Elle était adossée à la roche et ne comprenait qu'une porte, pas une seule fenêtre.

— Si tout est encore en l'état, l'obscurité est totale à l'intérieur, indiqua Styrmir.

Rapidement, il dégagea la porte pour pouvoir l'ouvrir et vérifier ce qui se trouvait derrière. Il dut en être content puisqu'il sourit à Yrjö et l'invita à le suivre. Il faisait effectivement nuit noire à l'intérieur lorsque la porte était refermée, mais Styrmir sortit une lanterne et des allumettes pour y remédier, dévoilant l'entrée d'une grotte qui s'enfonçait dans l'ombre. Dans la lumière jaune et douce de la flamme, son sourire était magnifique.

— Cette grotte s'appelait la Grotte Bleue, expliqua-t-il d'une voix douce. Je vais vous montrer pourquoi...

Levant haut la lampe, il s'engagea dans le tunnel obscur et Yrjö le suivit en essayant de deviner ce qu'il allait découvrir. Il faisait confiance au capitaine pour l'emmener dans un endroit qui vaudrait le détour, mais il était très curieux de voir ce qui l'attendait.

Ils ne marchèrent pas très longtemps, moins de cinq minutes, et arrivèrent finalement dans une large pièce arrondie où il faisait nettement moins froid. Au premier abord, Yrjö ne vit rien du tout et se posa encore plus de questions en voyant les murs taillés en coupole dans la pièce tout à fait vide. Et puis, à son grand étonnement, Styrmir commença à faire le tour de la pièce en levant la lampe pour la rapprocher de la pierre.

— Cela risque de prendre un tout petit peu de temps, indiqua le Vampire sur un ton d'excuse. Et j'espère que cela fonctionne encore, après toutes ces années...

Sans poser de question, Yrjö resta sagement là où il se trouvait, regardant le capitaine tourner autour de lui une fois, deux fois... cinq fois. Ensuite Styrmir revint vers lui avec une expression qui semblait presque embarrassée.

— J'aurai l'air idiot si cela ne fonctionne plus, alors j'espère vraiment que le temps n'a pas altéré les propriétés de cette pièce. Me faites-vous confiance pour éteindre la lumière ?

De tous les sentiments qu'éprouvait Yrjö, la peur ne faisait absolument pas partie et il hocha doucement la tête, partagé entre la curiosité et une sorte d'appréhension qu'il ne parvenait pas à expliquer. Le capitaine se rapprocha un peu plus, jusqu'à ce que leurs épaules se frôlent, puis attrapa la lanterne. Juste avant de souffler la flamme, il dit :

— Regardez le plafond.

L'obscurité avala tout, aveuglante, mais Yrjö garda les yeux rivés au plafond de roche en attendant que sa vue s'habitue un peu au manque de lumière. Petit à petit, il commença à discerner quelque chose, comme une lueur bleutée qui perçait la nuit par endroits. Et puis ses yeux s'adaptèrent et il découvrit des motifs phosphorescents, peints à même la roche. C'était comme un ciel d'étoiles, mais avec des dessins complexes, d'une grande finesse. Il y en avait des dizaines, tout autour de la grotte, descendant parfois même sur les murs, et Yrjö commença à tourner sur lui-même, essayant de tout voir.

— C'est magnifique, murmura-t-il d'une voix étranglée.

Il y avait un troupeau de mammouths qui s'avançait d'un côté, avec des bergers autour, une course de ptéraptors, la silhouette élancée d'une cité vampire, des montagnes, des étoiles, les trois lunes souriantes, des hommes et des femmes, des animaux, des traîneaux et des centaines d'autres choses, toutes plus belles les unes que les autres. À force de tourner, Yrjö fut saisi d'un étrange vertige et il serait tombé si Styrmir ne l'avait pas retenu en attrapant sa main.

— J'ignore quand cette grotte a été peinte, souffla le capitaine. Elle l'était déjà depuis bien longtemps lorsque je venais ici. J'ai entendu dire qu'elle date de l'époque où les cités n'existaient pas encore et que Rogean a été bâtie ici parce que ce lieu était habité depuis très, très longtemps. J'ai toujours adoré cet endroit et je voulais partager un peu de cette beauté avec vous.

La gorge nouée, Yrjö chuchota un remerciement en s'accrochant à la main qui tenait la sienne. Elle était forte et tiède, la peau un peu sèche et calleuse, et incroyablement rassurante. Le tout formait une magie envoûtante, la beauté pure et poétique des dessins bleutés autour d'eux, la présence de Styrmir à ses côtés et sa main dans la sienne. Yrjö avait l'impression d'avoir été emporté dans un endroit enchanté où les motifs lumineux dansaient autour de lui et où son seul ancrage était le Vampire qui le tenait. Son cœur s'apaisa et il se plongea dans la beauté du moment, oubliant tout le reste.

Ils ne prononcèrent plus un seul mot, pas même lorsque les motifs commencèrent à pâlir un peu, ni quand Styrmir le guida gentiment vers l'extérieur sans lâcher sa main. Ils ne se séparèrent qu'une fois de retour dehors et Yrjö regretta immédiatement la chaleur du capitaine. Dans un silence empli d'une émotion partagée, ils regagnèrent le refuge où les autres dormaient déjà. Juste avant que Styrmir ne s'en aille se laver, Yrjö le retint par le coude et lui murmura « merci » de tout son cœur. Le capitaine se contenta de lui offrir un sourire d'une grande douceur et ils se séparèrent pour la nuit. Blotti contre Taïga, Yrjö ferma les yeux et se replongea dans la magie de cet instant merveilleux pour s'endormir.