30 - A travers le pack

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« Il est très difficile d'estimer l'épaisseur et la solidité des morceaux de glace qui composent le pack. Parfois il s'agit d'iceberg grands comme des montagnes, parfois ce n'est qu'une mince couche de neige et de givre qui tient davantage par la lumière de la lune qu'autre chose. Les chocs engendrés par les collisions d'icebergs provoquent des chutes de morceaux de glace qui peuvent former de véritables ras-de-marées capables de renverser des glaçons de belle taille. »

« Le pack », article de Sonja Freidottir dans La glace et le froid, études nautiques.

***

8 Flammeciel, quelque part dans le pack près du Désert de Glace.

La petite expédition quitta le Camp de l'Espoir aux premières heures du matin, laissant derrière elle Njola et Morgun ainsi que Taïga. Chacun d'entre eux portait un sac à dos chargé de vivres pour une journée et de matériel de couchage pour une personne. Ils s'engagèrent avec prudence dans le pack, progressant sur de larges glaçons qui tanguaient parfois un peu ou se fissuraient sous leur poids. Aeled et Inarsyl marchaient en tête parce qu'ils étaient plus légers et ne risquaient pas de fragiliser la glace à leur passage. Yrjö leur avait confié le bâton ferré qui servait à tester l'épaisseur de la glace et ils jouaient donc le rôle d'éclaireurs pour le reste du groupe.

Bientôt, le Camp de l'Espoir disparut de leur vue, caché par les reflets dorés de la glace baignée du soleil bas de Crépuscule, et ils ne purent plus compter que sur la position des lunes dans le ciel pour se repérer. Fareì avançait en gardant son médaillon serré dans son poing, tout entier concentré sur la sensation de chaleur qui s'en dégageait et qui lui indiquait la direction à suivre pour retrouver Moreig. Cette fois c'était plus flagrant, il avait l'impression que chaque pas les rapprochait l'un de l'autre et son cœur battait un peu plus vite, partagé entre l'impatience et la peur.

Il ne faisait même pas vraiment attention à ce qui l'entourait, raison pour laquelle Styrmir et Yrjö restaient à ses côtés pour veiller à ce qu'il ne tombe pas. Dans l'ensemble, marcher sur le pack n'était pas très différent de sur le Désert de Glace, à ceci près qu'il fallait parfois bondir par-dessus de vastes crevasses au fond desquelles se trouvaient les eaux noires de la Mer d'Argent. Les grandes plaques de glaces dérivaient lentement, se heurtant parfois les unes les autres, s'éloignant pour mieux se rapprocher, mais avec un peu de jugeote il était facile d'avancer dans la bonne direction.

En revanche, le froid s'accentuait avec le vent du nord qui s'était levé, et ils frissonnaient dans leurs manteaux en essayant de bouger leurs doigts pour ne pas qu'ils gèlent.

— Nous ne pourrons pas nous arrêter avant d'avoir rejoint les naufragés, annonça Yrjö. Le froid nous emporterait en quelques instants. Si vous ne sentez plus vos pieds ou vos mains, dites-le avant qu'il ne soit trop tard.

Il savait être le plus fragile d'entre eux, même si les Elfes n'étaient pas adaptés à ces températures, et il restait très attentif à ce qu'il ressentait tout en surveillant la progression de Fareì. Devant eux, Aeled et Inarsyl s'arrêtèrent brusquement en levant la main avec un cri d'alerte.

— Attention !

Le sol qu'ils venaient de franchir se délitait, révélant une crevasse mortelle. La neige avait formé un pont délicat au-dessus, que les Elfes avaient pu traverser sans mal avant qu'il ne cède. Le reste du groupe devait contourner. Cela les rendit d'autant plus prudents et les deux Elfes mirent un point d'honneur à sonder le sol tous les deux pas pour éviter une autre mauvaise surprise du genre.

Par moment, avec de terribles grincements et de lugubres plaintes, de gros icebergs venaient se heurter aux plaques de glace, provoquant des fissures ou des remous assez forts pour retourner les glaçons. D'énormes morceaux de glace tombaient dans les chenaux à peine ouverts, formant dans un bruit effroyable de dangereuses vagues qui faisaient tout tanguer et menaçait de leur faire perdre l'équilibre.

— Nous devrions nous encorder, déclara Styrmir. Ainsi, si l'un d'entre nous tombe, les autres pourront freiner sa chute et le rattraper.

Le rouleau de corde elfique emporté par Aeled fut promptement employé à cet effet et ce fut le capitaine qui se chargea des nœuds car il était le seul à pouvoir travailler sans gants. Tous les autres auraient perdu leurs doigts en un rien de temps s'ils s'étaient affranchis de leurs protection de fourrures l'espace de quelques minutes.

Avec cette sécurité supplémentaire, ils continuèrent leur route, guidés par les brèves indications de Fareì. Le temps s'écoulait étrangement dans ce paysage chaotique et désert où régnait un silence étrange seulement troublé par le fracas occasionnel des glaces et le sifflement du vent dans leurs capuches. Seule la course de Jani permettait de savoir combien de temps était passé depuis leur départ du Camp de l'Espoir. Puisqu'ils ne pouvaient faire de halte, ils gardaient leurs gourdes d'eau à l'abri sous leurs vêtements pour que la chaleur de leurs corps la garde liquide, mais elle menaçait de geler sitôt qu'ils essayaient d'en boire une gorgée.

De temps en temps, Yrjö appelait chaque membre de l'expédition par son nom, pour s'assurer que tout allait bien, puis ils retombaient dans leur silence concentré en continuant vaillamment à marcher. La journée touchait à sa fin, le soleil était toujours plus bas dans le ciel, sa lumière virant à l'orangé, et ils n'avaient toujours pas vu le moindre signe de leurs naufragés.

Au secours de l'Arwen [Wattys2022]Where stories live. Discover now