Au secours de l'Arwen [Wattys2022]

39 - Flammes du ciel

« Les flammes du ciel sont un phénomène lumineux observable durant la nuit en Terre de Glace ou en Wolfyre. De grands voiles de lumière apparaissent dans le ciel, formant une danse gracieuse dont les couleurs varient du vert au violet en passant par le bleu, le rose et parfois le rouge. Spectacle impressionnant et magnifique, ce phénomène attire chaque année de nombreux curieux dans les régions où il est observable. »

« Flammes du ciel », dans Encyclopédie de Thyärn, vol. 2 L'Estinya, par Eusebio Ruffen.

***

20 Flammeciel, ruines du village de Nimrean, Plaine Blanche.

En dépit de la fatigue qui s'installait, ils avançaient toujours bon train. Taïga semblait ne jamais se lasser de courir devant le traîneau pour ouvrir la route, parfois accompagnée de Nyaelle qui sondait la profondeur de la poudreuse à défaut de chercher des crevasses, inexistantes dans cette région. Les lumières de Shakel Town restaient visibles dans le lointain sans paraître s'approcher réellement, leur donnant un but, une direction et, surtout, de l'espoir.

Malgré tout, lorsqu'ils s'arrêtèrent dans les ruines de Nimrean après une nouvelle journée éreintante de marche contre le vent glacial qui s'était fait de plus en plus furieux au cours des heures, Yrjö n'avait pas une bonne nouvelle à leur annoncer.

- Avec un vent pareil, nous aurons du blizzard avant demain soir. Au moins, nous commencerons à descendre vers les gorges de la Vivace donc nous serons un peu plus abrités, mais ce ne sera pas beau à voir pour autant. Cela risque même de gravement nous ralentir. Raison pour laquelle je suis désolé de vous annoncer que nous allons devoir nous rationner ce soir.

Personne ne protesta pour autant, ce qui le soulagea. Non pas qu'il se soit attendu à des plaintes, mais il ne savait pas trop comment il aurait pu trouver la force de les repousser s'il y en avait eu.

- La bonne nouvelle en revanche, c'est que demain nous dormirons dans un abri un peu plus solide au village d'Ernsen. Il n'en reste que le refuge fortifié et il n'est pas aussi confortable que ceux de la route du nord, mais nous y serons toujours mieux qu'en proie au vent de la Plaine Blanche.

Refroidis et assommés par la fatigue, les membres du groupe répondirent par de faibles sourires et quelques marmonnements difficiles à comprendre. Il fallut que chacun ait entre les mains une tasse de thé pour que les langues se délient un peu et que les sourires reviennent timidement. Yrjö veilla à ce qu'une potion fortifiante soit partagée entre Svanhild, Hedvig et Nyaelle afin de leur redonner un peu de force pour les jours à venir. Au moins, ils descendaient cette fois, ce qui leur faciliterait la route.

- Par endroits, nous pourrons nous accrocher au traîneau et nous laisser glisser, annonça-t-il avec une ombre de sourire. Nous gagnerons du temps, économiserons de l'énergie... et ce sera bien plus amusant que de marcher en tirant.

Cette perspective-là, en revanche, amena des sourires plus francs sur les visages. Il était évident qu'ils peinaient tous et que les derniers jours qui les séparaient de Shakel Town allaient être terriblement pénibles. Yrjö avait surtout conscience de son propre épuisement mais refusait d'y céder. Il se devait de ramener tout le monde en sécurité et il y parviendrait, il n'y avait aucune autre option envisageable.

Accroché à sa tasse de thé brûlant dont il savourait tant le goût que la chaleur, il se laissa aller à s'appuyer un peu contre l'épaule de Styrmir dont les lèvres se relevèrent en esquisse de sourire. Yrjö avait dormi dans ses bras au cours des trois dernières nuits et avait pu puiser dans sa chaleur les forces dont il avait besoin pour tenir la journée. Le capitaine avait veillé sur son sommeil, s'était assuré qu'il soit au chaud et Taïga aussi, et avait chaque soir déposé un tendre baiser sur chacune de ses paupières pour l'encourager à se détendre et se reposer un peu. Sans lui, le traqueur n'était pas certain qu'il serait parvenu à trouver le sommeil tant il s'inquiétait des jours à venir. La seule chose qui parvenait à le faire tenir lorsqu'il tirait le traîneau était de savoir qu'au bout du trajet l'attendait un vrai lit, dans lequel il pourrait inviter son capitaine pour découvrir tout ce qu'ils pouvaient partager sans que le froid ne les menace. Pour se donner du courage, il tâchait d'imaginer ce que cela pouvait être, de devenir l'amant de Styrmir, et cela avait au moins l'avantage de le réchauffer un peu.

- Oh, regardez !

L'exclamation soudaine, provenant d'Inarsyl, le fit sursauter alors que Taïga se mettait à gronder joyeusement, la truffe en l'air. Au-dessus d'eux, dans le ciel nocturne, de longs filaments verts et bleus se dessinaient lentement, décrivant des vagues gracieuses.

- Les flammes du ciel, sourit Morgun en attirant Njola contre elle. Le plus beau spectacle que la Nuit ait à offrir.

Du pied, Yrjö dispersa un peu leur feu pour en atténuer la lumière et permettre à tout le monde d'observer le ciel et la beauté incroyable de ce qui se déroulait sous leurs yeux. Il y avait du vert très vif et du violet doux, du bleu pâle et du rose chaleureux, qui peignaient le ciel en une pluie de couleurs lumineuses. Un silence émerveillé s'étendit sur leur groupe alors que chacun se pelotonnait sous ses fourrures pour s'emplir du spectacle.

Profitant de ce que personne ne leur accordait d'attention, Styrmir se redressa pour passer un bras autour de la taille d'Yrjö et l'attirer à lui, l'invitant à s'adosser contre son torse. Le traqueur ne se fit pas prier pour se blottir dans ses bras et le capitaine rabattit les pans de sa couverture autour d'eux avant de l'embrasser sur la tempe. La tête renversée en arrière, posée sur l'épaule solide de l'homme dont il était en train de tomber amoureux, Yrjö offrit un sourire doux à la nuit enflammée. Contre ses jambes, Taïga remua pour mieux s'étaler sur ses pieds, la tête posée sur ses pattes et les yeux illuminés par les reflets des flammes du ciel.

C'était comme les plis d'une robe immense, comme la caresse du vent dans les voiles d'un navire, comme des ailes gigantesques, une danse merveilleuse de couleurs éthérées derrière laquelle se trouvait le ciel, immense et couvert d'étoiles. La joue pressée contre les cheveux d'Yrjö, Styrmir observa la course rapide d'une étoile filante et formula de tout son cœur le vœu de pouvoir avoir la chance de garder le traqueur à ses côtés pendant de longues années. Il voulait apprendre à le connaître en dehors du cadre de l'expédition de secours, découvrir son visage au réveil sans barbe ni bonnet, apprendre par cœur le goût de ses lèvres et le rythme de ses respirations endormies. Il voulait pouvoir apprendre à l'aimer, et le chérir de toutes ses forces parce qu'il n'y avait personne au monde qui soit plus digne d'être aimé et admiré.

Dans la chaleur relative de leur cocon de fourrures, Yrjö glissa sa main gantée dans celle de Styrmir et la caressa du pouce, sans jamais cesser de regarder les flammes colorées danser au-dessus de leurs têtes. Il se sentait apaisé, oubliant pour un instant les dangers qui les guettaient, happé par la beauté indescriptible du ciel, par la sécurité des bras qui l'entouraient et par la douceur du moment. Il se sentait bien, presque au chaud, aimé et amoureux.