De justesse

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Dans le monde spirituel, Hoshihi réveilla tout son clan en hurlant au milieu de la nuit. Ses cris de souffrance pure ameutèrent les plus jeunes, terrifiés par l'agonie au fond de ses yeux verts, et les plus âgés, qui reconnaissaient les signes. Aotsuki en personne, colossale et vénérable, fendit la foule de chats terrifiés, surplombant le jeune félin de toute sa taille et de toute sa masse. La Lune presque pleine jetait sur la clairière où ils vivaient des ombres cruelles, tranchantes.

— Qu... Qu'est-ce qui m'arrive ? parvint-il à gémir entre deux vagues de douleur.

Le regard bleu pâle d'Aotsuki croisa celui de Kibaki la guérisseuse pendant un instant. Quand celle-ci hocha la tête, la cheffe redirigea son attention vers Hoshihi, qui se tordait à nouveau de douleur en serrant les mâchoires pour ravaler un autre hurlement.

— Je ne l'ai jamais vécu moi-même, dit-elle d'une voix peinée, mais ma mère, la familière de l'Invocatrice avant Shinku-kun... Ton Invocatrice est en train de mourir, Hoshihi-kun. Je suis désolée.

— Non ! Non ! Ce n'est pas possible, elle ne peut pas...

La voix du chat s'étrangla et il hurla encore, les nerfs en feu, sous le regard navré de sa cheffe de clan. Il lutta pour se redresser, les pattes tremblantes, et la fusilla du regard.

— Hitomi-chan ne peut pas mourir ! C'est impossible ! Envoyez-moi là-bas et vous verrez qu'elle va bien, je...

Il s'interrompit encore une fois, le corps tendu dans un arc d'agonie, et s'effondra à nouveau aux pieds d'Aotsuki, qui ferma les yeux et se courba jusqu'à ce que son museau lui effleure l'épaule.

— Je suis désolée, Hoshihi-kun. Tu sais que je ne peux pas faire ça. Je ne pourrais fixer la connexion qu'avec Shinku, et toi, tu n'as pas encore appris à le faire avec elle...

Elle ne dit pas qu'il ne pouvait pas parce qu'un cadavre ne pouvait créer le lien entre le monde spirituel et le monde physique. Sa mère avait réagi comme ça aussi, quand son Invocatrice était morte. Il pensait que la petite Hitomi était invincible, brillante, assez forte pour déjouer tout le mal qui se présenterait sur sa route – en vérité, des maux au-delà de toute conception rôdaient dans l'ombre, prêts à s'abattre quand les chats du Clan Hikari étaient impuissants à intervenir.

— Viens, Hoshihi-kun... Quoi qu'il se passe, tu as besoin de soins. Kibaki-sama te donnera des graines de pavot pour t'aider à dormir. Courage, ça va passer...

Les chats s'écartèrent à nouveau pour laisser passer leur cheffe et le blessé qui gémissait à chaque pas comme s'il marchait sur du feu. Leurs regards étaient graves, respectueux. Bien vite, les autres félins de cette génération, et même la petite Hai dont la fourrure était hérissée de crainte, se détachèrent de l'attroupement pour suivre le familier jusqu'à la tanière de la guérisseuse. Ils le veilleraient cette nuit et les suivantes, jusqu'à ce que son cœur se remette en chasse.

Même si jamais la forêt ne retrouverait son éclat.

—... se réveille !

Il y eut un bruit d'agitation près d'elle – si loin qu'elle l'entendait à peine, pourtant. Elle tenta d'ouvrir les yeux, se contenta de faire frémir ses paupières, abandonna. Elle était tellement, tellement épuisée... Et pourquoi ressentait-elle de la fatigue ? Elle se souvenait avoir été en train de mourir... Encore. Avait-elle à nouveau été réincarnée quelque part ? Malgré la fatigue qui écrasant son corps tout entier et l'empêchait presque de respirer, elle sentit une larme se former au coin de ses yeux, rouler sur sa joue jusqu'à son oreille, s'y perdre. Elle ne voulait pas partir. Elle ne voulait pas quitter les gens qu'elle avait appris à aimer ici, tout recommencer ailleurs. Elle ne pouvait pas.

Quelque chose s'achève, quelque chose commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant