Le projet

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Ce fut au milieu d'une nuit agitée que qu'une nouvelle idée s'abattit sur Hitomi. Elle se redressa dans son lit, les yeux grand ouverts, le corps tendu par une décharge d'adrénaline. Elle rejeta précipitamment les couvertures à ses pieds et se leva, le geste si vif qu'elle trébucha presque sur le sol frais. Elle dut se battre avec la lampe posée sur son bureau pour avoir de la lumière, pestant contre ses doigts rendus maladroits par son impulsion fébrile.

Attirant à elle un cahier encore vierge, elle jeta ses idées sur le papier dans un désordre qui ne lui ressemblait pas, talonnée par une peur absurde d'oublier – comme si elle oubliait quoi que ce soit. Il y avait quelque chose d'euphorique à voir ses notes s'écrire, à voir que cet éclat presque de génie était réalisable – elle ne comprenait juste pas qu'aucun maître des sceaux n'y ait pensé avant elle.

— Hitomi ?

Elle sursauta, tirée de sa transe, et par réflexe, jeta son stylo comme une arme dans la direction de la voix qui l'avait interpellée. Ensui intercepta l'arme de fortune entre le majeur et l'index, haussant un sourcil d'un air perplexe. D'accord, c'était un excellent réflexe, mais tout de même, cela restait surprenant.

— Tu veux m'expliquer pourquoi tu es debout au milieu de la nuit, alors que tu es censée te trouver à l'aube dans la salle d'entraînement ?

Enfin, la petite fille daigna relever la tête de son travail. Ensui ne put s'empêcher de ricaner légèrement en voyant qu'elle s'était mis de l'encre jusque sur le bout du nez. Cela lui rappelait des souvenirs de son propre apprentissage, trente ans auparavant. Lui aussi avait été exalté, lui non plus ne s'était pas soucié d'apparaître propre et net en toutes circonstances. Encore une fois, il adressa une prière de gratitude aux Kami qui avaient mis Hitomi sur sa route.

— P-Pardon, shishou. C'est juste que... Je viens d'avoir une idée, une idée vraiment excellente qui pourrait révolutionner le monde. Je ne peux pas retourner me coucher maintenant. Je ne suis même plus fatiguée.

Avec un soupir, l'homme avança de quelques pas dans la chambre, ses pieds nus produisant un bruit mat à chaque pas contre les tatamis. Hitomi s'était beaucoup moquée de son t-shirt orné de shuriken en guise de pyjamas, avec cette douceur affectueuse dans le regard qui ne trompait pas. Maintenant, elle ne faisait même plus de remarque quand elle le voyait, se contentant parfois d'un petit sourire entendu. Rassemblant ses cheveux en queue de cheval au sommet de son crâne – il n'allait sans doute pas retourner dormir de sitôt – il se pencha par-dessus l'épaule frêle de son apprentie et se mit à lire ce qu'elle avait écrit.

Il lui fallut quelques instants pour comprendre. C'était très technique, avec l'exploitation de kanjis et d'ornements que lui-même n'avait jamais utilisés, même s'il les avait vus dans les livres qu'il avait étudiés, puis transmis à la petite fille pour son propre apprentissage. Les sourcils froncés, il passa un long doigt sur une ligne en particulier, son ongle tapotant le papier comme pour souligner sa profonde réflexion.

— En effet, c'est possible... Mais ça risque de demander beaucoup de travail.

— Est-ce que je peux essayer de le faire ? S'il vous plaît, shishou !

Il croisa son regard et vacilla légèrement sous l'impact de ces larges prunelles rouges, emplies de supplications, d'avidité et d'impatience. Il ne pouvait tout simplement pas résister. D'une main douce, il tapota l'épaule de son apprentie. Elle avait bien grandi ces derniers mois, il s'en rendait compte parfois, et ça le frappait avec la délicatesse d'un rocher en pleine figure.

— Je pense que tu en es capable. Tu peux t'y mettre, mais seulement à condition que ça n'interfère pas avec tes autres devoirs, envers moi et envers ton ami.

Quelque chose s'achève, quelque chose commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant