Pizza

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Harry entra Square Grimmaud d'un pas lourd, épuisé. Les mains prises par un carton de pizza, il referma la porte d'un coup de pied et ignora les hurlements de Walburga Black.
Il rejoignit la cuisine et lâcha le repas sur la table avant de souffler.

Puis, il se débarrassa de sa veste et se passa une main nerveuse dans les cheveux avant de hurler un "à table !" tonitruant.

Son colocataire arriva, visiblement agacé, et le jeune homme soupira en levant les yeux au ciel.
- Potter ! Vous êtes un sorcier par Merlin ! Pas la peine d'ameuter tout Londres pour me prévenir de votre arrivée !

Harry eut un sourire malicieux.
- Bonsoir Professeur. Vous avez passé une bonne journée ?
Rogue le fixa de ses yeux d'onyx et grogna, sans pour autant répondre. L'homme avait très vite appris que si Harry l'appelait toujours "Professeur" par habitude, il prenait un malin plaisir à défier son autorité pour lui montrer que dorénavant ils étaient égaux.

Leur relation avait changé brutalement le jour de la bataille de Poudlard. Severus faisait face à Voldemort dans la cabane hurlante, conscient que le mage noir doutait de plus en plus de sa fidélité. Il savait qu'il risquait gros, que celui qu'il nommait Maître était fou.
L'espion avait commis l'erreur de croire que le mage noir voudrait le tuer face à ses Mangemorts, pour faire de lui un exemple. Pour leur rappeler que la trahison serait punie de mort. Cependant, il avait oublié un détail : en tuant Dumbledore, Voldemort penserait qu'il était devenu le Maître de sa baguette. La légendaire baguette de sureau.

Lorsque Voldemort avait lancé Nagini sur lui, il n'avait pas eu le temps de réagir, surpris. L'immense serpent avait fondu sur lui, mais une voix familière avait hurlé un "sectumsempra" et le serpent était mort sous ses yeux, presque tranché en morceaux.
Le mage noir avait hurlé - de rage, de douleur - et la seconde suivante, Potter était devant lui, les yeux brillants de détermination.

Severus aurait aimé le secouer, et lui dire qu'il était un idiot, qu'il n'était pas prêt. Il n'avait pas eu le temps de lui transmettre les derniers mots de Dumbledore, ceux qui l'avaient rongé depuis qu'il savait...
Mais il était resté muet, parce que Voldemort avait lancé l'Avada sur lui, et que Potter s'était placé sur la trajectoire du sort mortel, volontairement.

Le Gryffondor stupide s'était effondré avec un air presque satisfait. Le Maître des potions avait secoué la tête, abasourdi, ne comprenant pas ce gamin. Il était tombé à genoux dans un état second, pour caresser les cheveux de celui qu'il avait vu comme une épine dans son pied, le sosie de James Potter aux yeux bien trop verts.
Harry Potter, le Sauveur, l'élu de la lumière, s'était sacrifié sans hésité pour lui, Severus Rogue, Mangemort et espion. Lui qui avait tué, torturé, lui qui avait provoqué la mort de la femme qu'il aimait. Lui qui n'avait aucun avenir, et qui se laissait aller dans une vie de regrets et de remords.

Le mage noir semblait lui aussi surpris, regardant le corps à terre. Désormais, Severus était intouchable, protégé par la magie suite à l'acte de pur bonté de Harry. Il s'était sacrifié volontairement pour sauver la vie de son professeur, et par ce fait, il venait de lui offrir la même protection que Lily Potter avait offert à son fils autrefois.


Sans réfléchir à son acte, Severus prit le garçon dans ses bras, refusant de le laisser à cet endroit. Un instant, il crut le sentir bouger, mais il pensa que c'était une illusion.
Pourtant... Pourtant, alors que la tête du gamin infernal glissait dans son cou, il sentit une respiration lui chatouiller la nuque.

Réfléchissant à toute allure, Severus décida de lui glisser sa propre baguette dans la main. Potter ne l'avait jamais désarmé, mais ils étaient liés dorénavant par le geste héroïque - stupide - du Gryffondor. La magie, avec beaucoup de chance, tiendrait compte de ce lien, et la baguette de Severus obéirait au garçon.

Lorsque Harry esquissa le mouvement d'échapper à son étreinte, Severus fit en sorte de le lâcher de manière à ce qu'il se retrouve debout face à Voldemort, maintenant le jeune homme par la taille pour lui assurer la stabilité qui lui manquait - il venait de prendre un Avada après tout.


Par la suite, Harry Potter dirait qu'ils avaient tué Voldemort ensemble. Severus, lui, voyait juste un gamin qui avait agi sans réfléchir et qui avait eu beaucoup de chances de ne pas y rester - et au passage de ne pas plonger le monde magique dans le chaos.

Et le Gryffondor ne s'était pas arrêté à ça : quand les Aurors étaient venu chercher Severus, il était intervenu, les menaçant de mettre le monde magique à feu et à sang. Il avait exigé qu'il soit libre de toute poursuite, lui offrant son soutien.
Quand le Ministère avait exigé qu'il soit expulsé de Poudlard - sous peine de retirer à la célèbre école le droit d'enseigner - Harry était venu le chercher et l'avait accueilli Square Grimmaud, le lui laissant pas vraiment le choix.
Il y avait toujours des sorciers protester de la proximité de leur héros avec un ancien Mangemort, mais le brun aux yeux verts semblait imperméable à toute critique.

Depuis, ils cohabitaient.
Severus ne sortait jamais, et brassait des potions. Il fournissait l'infirmerie de Poudlard - percevant ainsi un petit salaire - et avait repris des recherches pour créer de nouvelles potions. Chaque mois, il déposait une somme qu'il estimait correspondre à un montant de loyer sur la table, et même si Harry avait tenté de refuser, il était resté intraitable. Alors le gamin prenait l'argent, et ne disait plus rien.

Harry pour sa part, sortait de temps à autres. Il ne disait pas où il allait - et Severus ne demandait pas. Il partait juste de longues heures, et revenait, épuisé, souvent d'humeur maussade.
Un jour, Severus lui avait demandé comment allait ses amis, et Harry avait haussé les épaules, détournant le regard. Le Maître des potions avait alors insisté et découvert que le gamin, persuadé de mourir, avait fait en sorte de repousser ses amis avant la bataille pour s'assurer de leur sécurité. Même après la victoire, il était resté à l'écart, se punissant inconsciemment pour des crimes qu'il n'avait pas commis.

Au début, l'homme avait pensé qu'ils n'arriveraient pas à se supporter plus d'un mois. Et pourtant, plus d'un an après, il devait reconnaître que le gamin n'était pas si désagréable. Il l'appréciait même énormément, jouant le rôle d'un vieil oncle acariâtre face à son neveu préféré.
Harry semblait apprécier cette relation étrange qu'ils avaient développé, tout autant que lui. Mutuellement, ils se guérissaient de leurs blessures du passé.

Lorsque le gamin irait mieux - quand il cesserait de sursauter au moindre bruit et que les cernes sous ses yeux auraient un peu diminué - Severus le pousserait en douceur vers ses anciens amis, pour qu'il reprenne une vie normale. Il resterait à proximité bien sûr, tant que le jeune homme supporterait sa présence, il serait là pour lui.
Peut être même qu'un jour, quand Harry déciderait de vivre vraiment, cette cohabitation étrange lui manquerait. C'était ce qu'il se disait de plus en plus souvent, surtout en voyant arriver devant lui sa pizza préférée, celle dégoulinante de fromage fondu et parsemée de jambon italien...

Les nuits du FofOù les histoires vivent. Découvrez maintenant