Chapter 55.5

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Vous avez apprécié l'aveu officiel de Hakan sur ses sentiments ? Alors, pour patienter jusqu'au chapter 56, ça vous tente, un petit point de vue selon Sherlock ?


Le temps qui s'effrite ne m'a jamais paru interminable que lorsque j'ai vu ma colocataire disparaître à nouveau derrière la porte de la cellule de dégrisement. Pourquoi est-elle aussi longue ? J'ai bien essayé d'écouter à travers la paroi, mais impossible de discerner des mots dans ce chaos de conversations.

— Si elle n'est pas revenue d'ici cinq minutes, propose Lestrade, on intervient.

— C'est trop long ! Je m'impatiente.

Je me résous à tourner en rond, encore et encore. Bon sang, Hakan !

— Pourquoi l'avoir accompagnée ? Me demande alors soudainement l'inspecteur.

— Cela ne regarde que moi ! J'aboie.

Soudain, un cliquetis, la porte de la cellule qui s'ouvre et la tête de ma cohabitante sort brièvement.

— J'ai le droit de le laisser sortir ? Se renseigne-t-elle. Il est calmé.

Sans vraiment attendre de réponse, les deux Selens quittent la pièce et nous rejoignent, sous le regard stupéfait des policiers présents. Eux, ils ne comprennent rien, mais moi je vois suffisamment de détails pour deviner la réunion de crise qui s'est tenue entre ces quatre murs : frère et sœur ont déballé sans doute un tas de niaiseries. Autre fait qui ne m'échappe pas, c'est que Hakan ignore volontairement ma présence, le temps de s'enquérir des formalités qui gravitent autour de son cadet.

Elle gère toujours tout par priorité, et dans ce cas précis, je n'en suis pas une, forcément. Cela me raidit un peu. Ah, elle tourne enfin les yeux vers moi, sourit et... évite mon regard ? Voilà une réaction que je ne lui connaissais pas encore. Elle se reconcentre sur le bureau de Lestrade, obnubilée par la paperasse. Curieusement, c'est Leif qui s'approche de moi.

— Hakan me propose de passer la journée, probablement la nuit aussi. j'éprouve toujours de la méfiance à votre égard, mais je sais que cela ferait plaisir à ma sœur. Alors, vous vous joignez à nous ?

Il ne ment pas, sa formulation est sincère, d'un bout à l'autre. Je hoche la tête.

— Nous verrons bien, je réponds malgré moi.

— Leif ! Réclame tout à coup ma colocataire.

Nous nous retournons vers elle de concert. Lui, intrigué, moi, intéressé.

— Tant que tu es sur le chemin d'une conduite exemplaire, viens présenter tes excuses à l'inspecteur.

— Tu te prends pour ma mère ? Se moque le cadet.

— Je suis ta tutrice pour treize mois encore, ricane-t-elle, alors habitue-toi.

— Ça y est, dit le garçon à mon intention, ça fait deux tests de QI, ça se met à fréquenter des détectives et maintenant ça se prend pour une lumière.

— Leif ! Râle-t-elle en rangeant le sac du susnommé.

— Vous avez fait ce genre de tests, vous ? Je m'étonne. Je pensais que vous ne vouliez pas savoir.

Je m'avance prudemment vers elle, mais elle ne fusille pas du regard. Au contraire, elle sourit, rectifie mon col, alors qu'il n'y en avait nul besoin. J'aime ses gestes à mon encontre, comme toutes ses attentions à mon égard. Toutefois, je me garde de le lui dire sous peine qu'elle se referme sur elle-même.

— Quels étaient les résultats ? J'insiste.

— Je ne suis pas ce qu'on appelle une surdouée, avoue-t-elle avant de remettre son manteau.

Elle prend la main de Lestrade et le remercie chaleureusement. Je ne vois plus aucune animosité envers lui. Je pense que cette histoire aura eu le mérite de réconcilier les Selens avec les forces de police. Je ne peux m'empêcher de sourire en la voyant tourner rapidement sur elle-même, cherchant une canne qu'elle n'a pas prise. Elle s'en rend compte assez rapidement et me regarde, pour vérifier si je l'ai vue.

Bien sûr, que je vous ai vue, Hakan. Je ne rate aucun de vos agissements, aucune de vos expressions faciales. Enfin, avant qu'on ne quitte définitivement les lieux, elle s'accroche à mon bras, un geste devenu réflexe également. Un bras que je lui cède, volontiers. Dehors, nous laissons son cadet nous distancer un peu, à la recherche d'une petite échoppe qui nous permettrait de nous sustenter : il faut dire que l'étudiant, comme nous, n'a rien mangé depuis plusieurs heures.

— Vous avez utilisé le terme « doué » tout à l'heure, je relève.

Elle se met à pencher la tête sur le côté en me regardant, signe de son incompréhension. Je me dis que j'aime beaucoup cette manie qu'elle a, cela la rend plus vulnérable, mais aussi plus désarmante...

— Vous avez dit la vérité en disant que vous n'étiez pas aussi intelligente, potentiellement, que Leif. Vous avez dit aussi que vous...

— Soyez concis, quémande-t-elle.

— Toutefois, comme votre frère ou votre sœur...

— Cousine.

— Bref, vous avez des facilités ! Je perds patience.

— Pas comme eux, me contredit-elle. Ce sont eux qui sont exceptionnels, admirables, particuliers. Pas moi. Moi je suis... À peine au-dessus de la moyenne.

— Combien ?

— Un score à trois chiffres, me taquine-t-elle.

— Combien ? Je répète plus vivement.

— Suffisamment pour savoir que cela n'a pas d'importance, conclut-elle en s'arrêtant devant un café pour y entrer.

Je suis incapable de tenir tête bien longtemps à ma colocataire, voilà pourquoi je n'insiste pas pour l'instant. J'ai le temps de la découvrir. Je vois déjà que son regard sur moi a changé depuis ce matin, même si je n'en saisis pas la raison profonde. Tout ce dont je suis certain, c'est que cette nouvelle façon de me percevoir me plaît déjà et que j'aimerais que cette sensation perdure.

Une colocataire irascibleWhere stories live. Discover now