Chapter 80.5

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L'intérieur n'est pas très grand et la lumière est tamisée, avec des décors aux allures de vieux cottage anglais. Or, excepté le vendeur, nulle autre âme en la demeure. Les odeurs d'huiles essentielles me chatouillent ardemment les narines, alors que mon cœur se pince : personne. Peut-être l'ai-je raté ?

Évidement que j'ai rêvé, c'était inévitable. Malheureusement, j'avais encore un maigre espoir, comme si j'avais pu, un instant, revoir mon cousin. Ressortir avec lui du magasin, avec fierté, pour blâmer les garçons qui discutent à l'extérieur.

— Goeiedag, bonjour ! M'accueille l'occupant comme il le fait certainement à cinquante reprises dans la journée. Puis-je vous aider ?

En me tournant dans sa direction pour lui faire face, je me rends compte qu'il a la même carrure que Klaus, à deux ou trois centimètres près. La même taille, les mêmes mèches rebelles : de dos, on aurait pu difficilement faire la différence. Je commence à comprendre ce que voulais dire mon colocataire : il a sans doute aperçu le vendeur à travers la vitrine, a rapidement fait le rapprochement avec le portrait de mon cousin sur nos photos de famille et... Bon sang, pas étonnant qu'il m'ait prise pour une folle furieuse. J'ai imaginé ce que je voulais voir. Et ce que je voulais, c'était voir mon meilleur ami.

Et pourtant, il faut que j'en sois certaine. Il le faut. Histoire d'enterrer tous ces vains espoirs, justement. Il n'y aura que quand je l'aurais entendu de sa bouche que je serai définitivement revenue à la triste réalité de ma situation.

— Oui, je lui réponds en bon français, je crois. Vous... Vous n'avez pas eu de client, il y a quelques instants ? J'ai cru apercevoir quelqu'un entrer, une connaissance...

Le jeune homme lève les paumes vers le ciel en signe d'ignorance.

— Pas à ce que je sache. Je viens d'aller chercher le courrier, sans doute m'avez-vous confondu avec une autre personne.

— Sans aucun doute, oui, dis-je dans un soupir, regardant distraitement autour de moi.

Si je n'avais pas été pragmatique, je me serais certainement mise à pleurer sur mon sort. Ou alors, je me serai emmurée dans le déni, en faisant un scandale dans l'établissement en l'accusant de mentir. Seulement, non, je sais qu'il dit vrai. Je sais que c'est moi qui me suis lourdement trompée. Je sais que je n'ai plus toute ma raison. Je dois rester calme, sous peine d'agir de façon idiote.

La seule chose qui me rassure, dans cette histoire, c'est qu'en m'appuyant sur le discours de Sherlock, je peux déduire que je ne perds pas la tête. Il y a autre chose. Cependant, lui-même n'est pas encore sûr de quoi. Cette fois, il va falloir que je me résigne à lui faire entièrement confiance.

Prise dans cette douloureuse réflexion, je fais mine de regarder les rayons.

— Profitez de nos promotions, renchérit l'homme à la caisse. Aujourd'hui, c'est un plus un gratuit ! Que ce soit les petits modèles, nos grands pots ou même nos diffuseurs d'huiles essentielles. Idéal pour les cadeaux de Noël que vous auriez oublié !

— J'en prends note, je rétorque pour qu'il se taise et que sa voix ne parasite pas mes pensées.

Mon colocataire n'aimerait pas que je dise que je suis arrivée ici par hasard. Et pourtant, pourquoi spécifiquement un magasin de bougies ? L'idée d'en brûler une devant la tombe de Klaus m'avait justement effleuré l'esprit, la veille ! Est-ce que l'idée d'aller dans ce cimetière m'affecte au point de l'avoir imaginé ici, ou de le voir partout ? Serait-ce une forme d'angoisse malsaine qui m'amène en ces lieux ? Il y a forcément un lien. De toute façon, puisque je suis ici, autant profiter un peu de la situation pour jeter un œil.

Une colocataire irascibleWhere stories live. Discover now