Chapter 41

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J'entends, sans vraiment écouter, ma cousine qui annonce que je compte ouvrir la soirée dansante. Je ne parviens pas à cerner son discours, je suis trop occupée à ne pas me liquéfier sur place. Je me retiens même de jurer : n'oublions pas que nous sommes en public.

Soyons clairs, je n'ai jamais été nerveuse pour si peu. Cependant, dois-je vous rappeler que mon cavalier habituel est mort depuis un an et demi ? Dois-je vous vous rafraîchir les idées sur le fait que je n'ai plus pris part à la moindre danse depuis ? Et surtout, dois-je vous décrire la sensation étrange qui me tiraille les viscères maintenant que je suis devant le fait accompli ?

— Vous êtes certain de vouloir conduire ? Je m'enquiers une dernière fois auprès de mon partenaire.

— Votre obsession du contrôle serait-elle plus forte que votre que votre confiance en moi, Hakan ? Me titille le détective.

— Vous me posez vraiment la question ?

— Non, c'est toujours rhétorique.

Je me sentais prête à débattre du sujet encore de longues minutes, n'importe quoi pour retarder le moment qui m'attend. Le geste précipité de mon colocataire m'en empêche, néanmoins. 

Précipité, c'est le mot. Sa main appuie ma hanche, me poussant vers le centre de la piste. J'essaye de me dégager de sa prise, en vain. Il se tourne rapidement, me rapprochant de lui, ses doigts glissent et se placent dans la position adéquate dès qu'il me fait face. 

Ça y est, je ne dirige plus rien. Mon règne de gloire sur les soirées dansantes chez Selens Incorporation est terminé. Comment ça, je dramatise ? En quoi, c'est autre chose qu'un tour de force sur ma personne, là ? Agréable, oui, mais tout de même ! Vous l'accepteriez, vous ?

— Je ne sais même pas ce qu'Elizabeth a prévu comme morceau, je me plains à voix basse alors que je pose docilement ma main sur l'épaule de mon cavalier.

— Nous nous sommes arrangés, m'annonce-t-il de but en blanc en s'emparant de mes phalanges.

Arrangés ? Comment ça ? Ils ont comploté derrière mon dos, en plus ! Je n'ai pas le temps de répliquer que les premières notes résonnent dans la salle. Je reconnais instantanément la chanson : c'est la danse que j'aurai dû effectuer avec Klaus l'année dernière ! Celle-là même sur laquelle nous nous étions disputés, avant son départ sans retour.

La chorégraphie de Klaus reste gravée en moi : élégante, habile, mais brillante de par sa simplicité... À son image. Ce duo n'a fait qu'une chanson ensemble, mais mon cousin l'écoutait souvent, en boucle. Oui, à m'en rendre dingue. Non, pas assez pour en être écœurée. Enfin, plus maintenant que cela me rappelle ce souvenir. Malgré cela, nous n'étions pas d'accord sur la fin dont il voulait affubler notre danse. Certes, il était bien capable de me porter pour me faire virevolter dans les airs, mais je refusais catégoriquement de me donner en spectacle de la sorte ! Je ne suis pas une girouette, non mais !

C'est vrai, Klaus avait enregistré nos séances de répétition en vidéo. C'était l'une de ces sessions que le hacker m'avait envoyée, il y a peu. Nonobstant, Sherlock n'aurait quand même pas...

— Glissez sur votre gauche, me rappelle-t-il.

Si, il l'a fait. Il a mémorisé l'ensemble des pas composé par mon ancien mari. Il doit même mieux les connaître que moi, indéniablement ! Je contiens mes émotions, tout en évitant de croiser le regard de mon partenaire. Un moment plus calme nous permet de nous rapprocher, c'est l'occasion de lui tirer un peu les vers du nez.

— Cette chanson aurait dû...

— Elizabeth pensait que c'était un bel hommage pour son frère, me coupe-t-il. Voyez-le comme un service que vous lui rendez.

Une colocataire irascibleWhere stories live. Discover now