Chapter 87.5

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Une petite désinvolture de Hakan... Au départ, je devais supprimer ce passage, mais j'avais tellement envie de la garder. Je n'ai pas pu m'y résoudre. Alors voilà, c'est cadeau ! 

Bonne lecture ! 

Cette réponse soudaine provoque un rire spontané, très court, très bref, de mon cohabitant. Il resserre sa prise sur ma paume et nous profitons des derniers instants sur la glace. Malheureusement, tout a une fin et il a bien fallu que nous rentrions. J'ai laissé mon colocataire en bout de piste, je me suis assurée que tous avaient quitté la patinoire, que je ne risquais plus de toucher personne.

— Non, Hakan ! Me voit venir Elizabeth.

— Juste cinq minutes, j'insiste en partant déjà sur la glace.

Dans mon dos, je l'entends hurler.

— Le jour où tu te tueras, il ne faudra plus compter sur moi !

Qu'importe si je tombe, si je me fais mal. Après tout, je suis déjà un meuble en kit. Avide de vitesse, je m'élance. Quelques mèches échappées de mon bonnet fouettent doucement mon visage. Ça fait du bien.

Avant, arrière... J'alterne. D'accord, ça, je maîtrise. Et si je sautais ? Je ne parle pas d'éviter un pied qui traine, mais un vrai saut, d'une hauteur plus conséquente. Cela fait un moment que ça me trotte dans la tête, le problème étant que les seules fois où j'ai essayé, ça s'est mal terminé. Heureusement, pas de fracture, et j'ai dissimulé la dernière entorse à Père pour qu'il ne m'interdise pas de retourner sur la glace un jour. Cependant, c'est plus fort que moi, si je maîtrise quelque chose, il faut que je tente d'aller plus loin. C'est comme le tapis de course à la clinique : je veux toujours aller plus vite et plus longtemps.

Les patineurs professionnels y arrivent bien, eux ! D'accord, je ne peux pas comparer des années d'entraînement à quelques malheureuses heures passées sur des patins. Surtout quand on a une prothèse. Pourtant, je me sens presque normale...

Sur le sol gelé, les frictions sont faibles et je me déplace vite, plus encore qu'un bon coureur. Or, courir ne m'est pas permis, je ne peux pas me permettre de rattraper un bus qui s'apprête à quitter sa station, par exemple. Je n'ai que ça pour effleurer la sensation de liberté. C'est cette sensation qui joue le rôle de traître, qui me donne l'illusion que je peux absolument tout faire. L'illusion, tout du moins...

J'ai effectué deux sauts, assurément, pas aussi spectaculaires que je ne le projetais au départ, mais je m'en contente parfaitement. Les lames des patins crissent, les bruits des sillons qu'ils font dans la glace deviennent stridents, m'assourdissant pour que je me complaise dans ma fierté. Hakan Selens, libre et indépendante... Bon sang, que c'est bon de se le dire !

Assez joué, je rejoins la sortie de la patinoire pour remettre mes chaussures, non sans faire un dernier dérapage.

— Tu vois, ça, commence mon frère en parlant à Rosie, c'est bébé Hakan qui s'amuse.

— Mais c'est drôle ! Me défend-t-elle. Au moins, Hakan, elle peut faire plein de trucs si elle veut.

Je retiens un rire en m'asseyant sur le banc, elle a retenu ce que j'ai dit. À sa façon, c'est vrai, mais l'essentiel, c'est que le message soit passé : je ne me suis jamais rien refusé sous prétexte d'une infirmité.

— C'était très bien, me dit Sherlock en venant me rejoindre.

— Ma prise de risque inconsidérée ou le fait que vous ayez appris à tenir sur des patins ? Je le charrie.

— Les deux.

— Vous savez, dis-je après un instant d'hésitation, en période estivale, il y a quelques patinoires sympa à Londres...

— Vous cherchez à m'inviter pour recommencer ? Me nargue-t-il à son tour.

— Vous avez raison, je me renfrogne, c'est stupide...

Vous avez raison, me corrige-t-il. C'est d'accord.

Il reste impassible, cela ne m'incite donc pas vraiment à me réjouir de sa décision.

— Pauvre de vous, j'ai toujours l'impression de vous imposer tant de choses...

— Quand il s'agit de faire la vaisselle ou de m'habiller, c'est contraignant, c'est vrai. Pour le reste, j'ai le loisir de progresser dans bien des domaines en votre compagnie.

— Vraiment ? Je lui demande, étonnée. En quoi je vous fais progresser ?

— Sur plusieurs points, élude-t-il comme je l'avais fait au sujet de Mycroft.

Et sur ces mots, il se relève pour rejoindre la sortie du bâtiment. Je demeure là, interdite, jusqu'à ce que Lizzy me rappelle à l'ordre.

— Tu as gelé ? Parce qu'il faudrait que tu te bouges : c'est toi qui conduis, tu te souviens ?

Un sursaut, le retour à la réalité et, la tête encore embrumée d'interrogations, je quitte définitivement la patinoire. Je ne suis pas triste : je sais que ce n'est qu'un au revoir. 

Une colocataire irascibleWhere stories live. Discover now