Chapter 26

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Depuis que je suis petite, j'ai toujours préféré le train à tout autre moyen de locomotion. Quand Maman était en vie, elle donnait des cours de piano à des mouflets plus âgés que je ne l'étais à l'époque. Même enceinte de Leif, elle s'entêtait encore à vouloir transmettre son savoir musical.

C'est ainsi que j'ai effectué mes premiers voyages en train. Ma mère me demandait de m'asseoir à côté d'elle et, malgré mon écœurement déjà très présent pour les marques de proximité et les câlins, je posais ma tête contre son corps pendant que j'admirais le paysage défiler sous mes yeux. Les cheveux de Maman retombaient sur le miens, me chatouillant parfois le front, les oreilles, le nez... j'aimais ces moments. Ils n'appartenaient qu'à nous.

Il m'arrive de regretter que Leif n'ait jamais été assez grand pour vivre ces aventures avec nous. Notre mère est tombée malade quand il avait deux ans à peine...

Pourquoi je m'épanche, tout à coup ? Qu'est-ce qu'il me prend de vous raconter tout ça ? Bientôt, vous allez penser que je ne suis pas une monstre. Ôtez-vous ça de la tête ! Je vous entends réfléchir !

Mon esprit dérive sur les rails, comme ce train vers Brighton. Or, ce n'est pas ma mère qui est à mes côtés, mais mon colocataire. Rien à voir comme sensation ! Celui-ci fixe un coin du wagon que je ne parviens pas à déterminer tout en se mordant un ongle. Quand je m'en aperçois, je l'arrête immédiatement d'un geste de ma main.

– Si vous n'aimez pas le train, je le réprimande calmement, pourquoi avoir proposé de m'accompagner ?

– Vous n'aviez pas dit...

– Je ne prends pas de voiture, je l'interromps. Vous vous attendiez à quoi ?

– À un hélicoptère.

Sous la surprise de sa réponse, j'avale de travers et je tousse à plusieurs reprises. Le détective se fiche de moi sans se cacher. Il attend tout de même que je retrouve l'usage de la parole avant de reprendre sur un ton plus sérieux :

– Je pensais que vous prendriez un cachet de morphine ou deux avant de prendre la voiture. Je croyais que si je me dévouais pour venir avec vous, vous auriez essayé de braver cette peur ridicule.

– Il y a tellement de points qui sont plus ridicules que mon amaxophobie dans votre développement, je rétorque amère.

– Allez-y, enchaîne-t-il, trop fier de trouver un sujet de divergence. Dites-moi.

– D'abord, je n'ai pas peur. C'est une phobie. Je peux faire tout ce que je veux pour rationaliser, je ne parviens pas à dépasser ce... blocage. 

– Donc, vous admettez avoir un blocage.

– Si vous continuez à m'interrompre, je vous fais descendre du train en marche et ce, sans le moindre scrupule. Ensuite, sachez que ce n'est pas parce que vous m'avez mise une fois dans un taxi pendant un quart d'heure que j'y remonterai de sitôt, que vous soyez présent ou non. Troisièmement, je ne peux pas me risquer à augmenter mes doses de morphine précisément quand on sait que je me rends chez Whitesorrow. C'est lui qui se charge de me délivrer et de m'envoyer mes ordonnances. Si je montre un quelconque signe de dépendance... En fait, vous savez quoi, j'aime mieux ne pas y songer. Et enfin, le train, j'aime bien.

– Pour ce dernier point, note mon compagnon, je l'avais remarqué.

– Vraiment ?

– Vous êtes beaucoup moins anxieuse que ce matin. Quelque chose dans ce voyage en train vous apaise...

– Vous, nettement moins, j'observe. C'est quoi le souci ?

– Les gens, avoue Sherlock.

Il ne me faut pas des heures pour décortiquer sa réponse si laconique.

Une colocataire irascibleWhere stories live. Discover now