Chapitre 40 (3/4)

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— C'est simplement un surnom, répliqua Wraith. Mon vrai nom est Sail [2].

Il fronça ses sourcils broussailleux.

— C'est tout aussi étrange.

— Je n'y peux rien. C'est mon père qui a choisi. Il a beaucoup d'humour.

Oward se pencha pour être en mesure de voir Indigo, le corps massif de Wraith lui bouchant la vue.

— Du sucre ? Du lait, peut-être ? s'enquit-il.

La jeune femme rougit.

— Trois sucre – oui je sais, c'est mal –, mais sans lait, précisa-t-elle.

Oward rit.

— Ton père le prenait exactement de la même manière. Il aurait suffi qu'il donne sa tasse à un diabétique pour que celui-ci se retrouve aussitôt aux urgences.

Indigo se força à rire. Puis elle demanda intérieurement à Wraith :

Sail ?

— C'est la première chose qui m'est venu à l'esprit.

— D'où ça sort ?

— C'est le titre d'une chanson que Shade écoute en boucle en ce moment.

Indigo se sentit sourire.

— Alors heureusement que le titre n'était pas « tartiflette sans fromage », « cervelle de piaf écrasé contre un pare-brise » ou encore « flatulence solidifiée » ! Il aurait été beau, ton prénom ! rit-elle intérieurement. Tu ne pouvais pas prendre le nom du chanteur ?

— J'aurais pu, mais Awol [3], ce n'était pas mieux.

— Je vois le genre. Sail, Awol, c'est du pareil au même. Tu n'aurais pas pu te contenter d'un Maxime, d'un Smith ou même d'un Roger ?

Awol, ça rimait un peu trop avec asshole [4].

Indigo explosa de rire. Puis elle redevint subitement sérieuse en croisant le regard d'Oward, qui l'observait d'un air étrange, dans l'incompréhension la plus totale. Non, non, elle n'était pas folle. Elle ne pouvait tout simplement pas lui dire que Wraith l'avait fait rire en lui parlant télépathiquement... Là, elle passerait pour une folle. Alors pour faire passer ce moment de gêne, elle préféra user de sa technique imparable, qui consistait à changer de sujet :

— À te croire, je ressemble beaucoup à mon père.

Oward sourit doucement.

— Je te vois à travers lui. Il aurait été fier de la femme que tu es devenue.

Indigo se tortilla sur le siège. Voyant le trouble de sa compagne, et sachant à quel point le sujet de son père était sensible pour elle, Wraith intervint, entrant dans le vif du sujet.

— Il est mort maintenant. On l'a assassiné ?

Le visage d'Oward se figea, et il leva le visage dans sa direction, une lueur nouvelle dans les yeux. Ça y est. L'humain prenait enfin conscience du genre d'homme qu'il était. Il en aura fallu, du temps. Son démon s'étira. Il voulait lui faire peur. Wraith aussi, mais il essayait au moins de se retenir un minimum, au contraire du démon.

Wraith le vit déglutir, Indigo gardait un visage scrupuleusement neutre. Oward jeta un regard à sa nièce. Elle n'avait jamais demandé comment était mort son père. Elle allait l'apprendre en même temps que lui.

Oward se racla la gorge.

— Il a bien été assassiné. Il traînait dans des choses... p0as très nettes. En fait, pour tout vous dire, je crois qu'il faisait même partie d'un gang, la mafia peut-être. Il ne me l'a jamais annoncé clairement, mais c'est la déduction que j'en ai tirée. Un jour, j'ai entendu une conversation qui aurait due restée confidentielle ; il négociait du prix de plusieurs caisses d'armes. Il y en avait pour des millions...

— Mon père était un mafieux ? s'étonna Indigo d'une voix voilée, avant de déglutir avec difficulté.

Certes, il n'avait jamais été un père exemplaire, il n'était jamais à la maison, et encore moins démonstrateur d'affection, mais il n'était pas mauvais pour autant.

— Pour avoir accès aux armes et aux fournisseurs, il était même assez élevé dans la hiérarchie, si tu veux mon avis, acquiesça son oncle, une moue compatissante sur le visage. On ne confie pas cette tâche aux novices ou aux vulgaires soldats. Il faut un minimum d'expérience. Et de la confiance. C'est à partir de ce moment que la relation entre ton père et ta mère c'est dégradée. Je pense qu'elle voulait qu'il arrête ses activités illégales, ou bien elle voulait t'éloigner de lui pour te protéger des répercussions, quelque chose comme ça.

Non, sa mère avait voulu l'éloigner d'Elvir Ma'Coy car il était bien trop faible, bien trop humain à son goût. Cette walkyrie terrifiante et redoutée avait voulu l'élever à la manière dure, pour éliminer l'humanité qu'elle avait en elle une bonne fois pour toute – ce qui n'avait absolument pas fonctionné, il fallait le dire. Cela avait même produit l'effet inverse, si l'on pouvait qualifier son handicap en ces termes.

Indigo s'était toujours demandé ce que sa mère avait trouvé en son père pour le choisir comme donneur de sperme. À présent, elle en avait une vague idée. S'il était réellement un mafieux, une personne mauvaise, sa mère avait sûrement pensé de lui qu'il était la personne idéale. Un humain inhumain. De quoi faire une walkyrie parfaite.

Mais ça n'avait pas marché. Heureusement pour moi, pensa Indigo.

— Ce n'était jamais la joie entre ton père et ta mère, et c'est à cette époque-ci que tu es venu passer quelque temps chez moi. Plus tard, ton père s'est retrouvé endetté jusqu'au cou, probablement à cause de ces caisses d'armes hors de prix.

Indigo encaissait ce qu'elle apprenait au fur et à mesure que les informations arrivaient. Et pour la première fois, elle posa la question qu'elle aurait dû poser six ans plus tôt :

— Comment mon père est-il mort ?


[2] « Sail » peut être traduit par « mettre les voiles » ou encore « vas t'en » en anglais

[3] « Awol » peut se traduire par « partir sans prévenir » en anglais

[4] « asshole » peut se traduire par « trou du cul » en anglais ;)

Au Cœur des Flammes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant