Chapitre 68 (2/4)

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Seule. Elle était si seule, soudain. Indigo s'était si vite habituée à la présence de ses hommes dans sa tête.

Indigo sentit avec horreur une larme se former au coin de son œil...

—Wraith ! Non, s'il te plaît, dis-moi que c'est faux ! Je ne suis pas morte. Wraith !

... mais elle sentit aussi son cœur battre dans la blessure de sa cuisse.

Indigo fronça les sourcils. Puis soupira de soulagement en relâchant les épaules, le crâne dans la poussière. Si son cœur battait encore, elle ne pouvait pas être morte, non ?

C'était le principal. Jésus-Marie-Joseph, tout va bien. Merci ++.

En revanche, elle avait mal aux jambes. Une douleur qu'elle ne pouvait pas qualifier de normale. Elle tenta de faire passer sa souffrance au second plan.

— Non, affirma-t-elle en redressant la tête, son ton empreint de défi. Je ne suis pas morte, Lothaire.

Il mit un temps un peu trop long et vexant à s'arrêter de rire.

— Non, c'est vrai, dit-il, enfin calmé. C'est cette femelle, Nova, Navet ou quelque chose du genre.

Il effectua un geste de la main pour balayer la futilité du sujet, tandis qu'Indigo avait l'impression qu'on lui enfonçait le tisonnier de la trahison dans le dos. Pourquoi Nehva aurait-elle fait une chose pareille ? Elle l'avait sortie des mains de Raza et l'avait soignée dans la forêt ! Sans cette fille hirsute, aux tatouages et aux piercings intimidants, Wraith et elle ne seraient probablement plus de ce monde, le cœur glacé. Seuls, chacun de leur côté.

Alors pourquoi ?

— Elle t'as fait boire une décoction qui te permet d'être ici sans que ta cervelle n'explose sous la chaleur de ces lieux.

Un soudain cri étouffé détourna Indigo des mots du roi. Sur le côté, un garde avait sursauté, effectuant un bond en arrière. Il était en train d'écraser quelque chose sous sa botte. Lorsqu'il retourna à sa place, la tête haute malgré son écart de conduite, il ne restait derrière lui qu'une masse grouillante. La patte d'un gros insecte tressautait encore.

— Il va venir te chercher.

Indigo reporta son attention vers Lothaire. Que cette situation était fatigante.

— Wraith ?

Lothaire acquiesça en souriant.

— Lui-même.

—Venons-en aux faits, défia la jeune femme, en se redressant sur les coudes, sa jambe toujours immobile. Qu'est-ce que vous attendez de moi ?

Le vieillard-qui-n'en-paraissait-même-pas-quarante fit claquer plusieurs fois sa langue contre son palais. Un tss-tss-tss, qui donna à Indigo l'envie de lui donner un bon coup de pied dans les parties. Elle n'était pas une gamine qu'on devait réprimer. Elle n'avait rien fait pour se retrouver dans ce bourbier !

— Si brave... mais tellement sotte.

— Qu'attendez-vous. De. Moi ? répéta-t-elle en séparant distinctement chaque mot, les dents serrées.

Elle aurait donné cher pour réussir à se lever, pour paraitre moins réduite face à son principal interlocuteur. Lothaire claqua de nouveau la langue devant son effronterie.

— Absolument rien.

— Rien ? s'étonna Indigo.

Perdue, elle pencha la tête sur le côté en fronçant les sourcils.

— Rien, ricana le roi.

C'était le pompon sur un gâteau déjà pourvu d'une cerise. Elle secoua la tête. Être ainsi entourée de gardes armés, étendue au sol comme une serpillère, et dans cette fournaise, lui donnait un mal de crâne terrible. Et converser avec beau-papa était épuisant.

— Alors pourquoi m'avoir fait venir ici ? En ayant, au préalable, pensé à me faire boire votre truc de perlimpinpin ? Ça ne tient pas la route une seconde.

— Parce que je veux que mon fils dirige ce monde.

— Il a déjà refusé, il me semble, dit-elle d'un ton amer.

Lothaire prit le temps de joindre ses mains avant de continuer. Il aligna scrupuleusement ses doigts, et les observa un poil trop longtemps. Quand il reprit la parole, Indigo crut qu'elle était morte d'attente.

— C'est exact. Mais uniquement car, en tant que mi-humaine, tu ne pouvais pas être ici. Et qu'il ne veut pas être séparé de toi, visiblement. (Il la fixa en fronçant les sourcils.) Bien que la raison m'échappe complètement. J'espère qu'il a tenté de te dresser, au moins, pour faire disparaître cette vilaine langue. Moi, je te l'aurais coupée. Pour empêcher tes bêtises de polluer mes oreilles.

Indigo ignora délibérément ses dernières réflexions. Enfin plus ou moins.

— Vous n'êtes qu'un vieux débris. Wraith serait d'accord avec moi.

Elle se laissa retomber au sol en soupirant. Le ciel était magnifique. Une coupole de vide, comme Wraith le lui avait expliqué un jour. Des nuances orangées fluctuaient, et des éclairs argentés formaient des tourbillons d'éthers. Parfois, l'éclair touchait le sol, et un grondement féroce ébranlait tout ce qui se trouvait aux alentours.

Un éclair tombe à chaque fois qu'une goutte de sang coule sur le sol. Quelqu'un devait sacrément saigner, au loin.

Le coude posé dans la poussière, son avant-bras bougeait en rythme avec ses paroles. Elle aurait dû être mortifiée de s'adresser de cette manière à un monarque, mais, bizarrement, elle n'en eut rien à cirer. Une substance dans l'air déliait peut-être sa langue, rendant ses paroles dénuées du moindre filtre. Qu'en avait-elle à penser, de toute façon ? Ce père était la pire des ordures.

— Donc, laissez-moi deviner. Vous voulez lui montrer que vous n'êtes pas un si mauvais papa ? Puisqu'il ne peut vivre dans un monde où je ne suis pas, vous avez décidé de déplacer monts et vallées pour trouver un moyen de me laisser venir ici sans mourir ? Bravo, vous avez trouvez une potion magique pour que je me retrouve ici.

Elle applaudit mollement.

— C'est très altruiste, si vous voulez mon avis. Et, enfin réunis, il n'y aurait alors plus aucun problème pour qu'il ne devienne pas le roi. Mais il ne...

— En réalité, tu n'y es pas du tout.

— Pardon ?

Indigo redressa la tête. Lothaire était toujours aussi sérieux.

— C'est simple. (Un éclair passa dans ses pupilles et sa bouche se durcit.) Il tient à toi, alors il voudra venir te sauver. Mais entourée de gardes et blessée comme tu l'es, tu es à ma merci.

Indigo roula des yeux. Avec sa famille, elle avait assez donné, niveau mélodrame.

— Je ne comprends pas où vous souhaitez en venir, lâcha-t-elle quand même, car c'était vrai.

— C'est simple. Je lui fais ma proposition...

Il laissa délibérément une pause, un sourire au coin. Et elle comprit ; il allait la forcer à demander la suite. Abruti.

Et... ? demanda-t-elle sur un ton doucereux, entrant dans son jeu.

Et s'il refuse, je te tue.

Indigo en resta muette. Elle se sentit pâlir. Il était sérieux.

Soudain, Lothaire leva le visage au ciel, l'oreille penchée comme s'il entendait quelque chose qui le mettait en grande joie. Après quelques secondes, un sourire au coin des lèvres, il reporta son attention sur Indigo.

— Je sens que cela va être inouï. Le plus beau jour de ma trop longue vie.

Déconcertée par ces mots, Indigo sentit la peur se répandre dans ses veines. Puis, enfin, elle le senti aussi. 

Au Cœur des Flammes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant