Le 25 Décembre 2015

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Cela faisait maintenant quinze ans que je ne recevais plus de cadeau à cette date. Je te l'ai déjà dit, Noël est devenu la fête de l'Hiver et cette tradition s'est perdue en même temps que le reste dans ce monde en désolation. Le monde n'a pas guéri et il n'y a eu aucun miracle, je ne m'attendais donc pas à recevoir un cadeau de la vie ou, plus précisément, un coup de pouce de sa part. Je peux maintenant le dire : nous sommes arrivés au bout de la route que nous poursuivions. Nous n'avons pas encore retrouvé les autres habitants d'Espoir mais nous serons plus tranquilles pour poursuivre notre objectif.

Au bout de la route, il y a une ville, une très grande cité dont les panneaux sont dans une langue qui m'est inconnue. Je présume qu'il s'agit d'allemand. Je n'y comprends rien de toute manière et je n'ai aucune idée d'où nous sommes. Il y a une forte activité dans le centre de cette cité tandis que sa périphérie semble complètement abandonnée aux rats et aux goules. Nous avons déniché un vieil appartement délabré, nous y sommes au chaud, à l'abri du vent et de la neige.

De plus, nous pouvons faire du feu sans risquer de se faire repérer. Tu penses bien qu'on en profite pour se réchauffer les os et prendre un peu de repos après cette longue marche. On ne se déplace que la nuit venant, glissant parmi les ombres, pour chasser du rat et explorer les environs. L'endroit a été dépouillé de toutes ses ressources depuis fort longtemps mais je me suis trouvé un perchoir pour observer les alentours. Nous ne resterons pas longtemps cachés de la sorte, il va falloir poursuivre si nous voulons retrouver les autres.

Le convoi s'est arrêté en ville, j'ai vu les camions au loin et ils ont été vidés. Les villageois doivent être au chaud, toujours captifs mais à peu près à l'abri. Il n'ya aucun intérêt à ce qu'il leur arrive du mal. Je l'ai déjà dit, mais des esclaves amochés ne valent plus rien à la vente. Cependant, je suis inquiet et je rejoins Mickael sur un point : Audrey s'est transformée en goule, nous pouvons donc craindre une épidémie. Si c'est le cas, et seulement dans ce cas, Mickael aurait raison en disant que nous leur serions d'aucune utilité.

Il a quand même admis qu'il était maintenant trop tard pour faire demi tour et que le froid et la faim n'étaient pas le genre de mort qu'il attendait. Avec de la patience et beaucoup d'arguments nous avons réussi à nous entendre de nouveau. Quelle énergie il faut déployer pour en arriver là ! Je crois qu'en fait, malgré tous ses discours plus sombres les uns que les autres, il n'a pas plus envie de mourir que moi.

« Tu piges rien Vincent, j'attends la Mort passivement. »

Il n'aurait jamais le cran, par exemple, de me demander de mettre fin à ses jours. Il ne le fera pas et, quand bien même il le ferait, je n'accéderai pas à sa requête. J'avoue volontiers que la gâchette m'a souvent démangé à ce propos ces dernières semaines mais en réalité, j'ai besoin de lui.

Premièrement parce que c'est le garde-manger ambulant :c'est dans son sac que l'on trouve nos réserves. Et puis, il a un don pour piéger les petits animaux ; j'en attrape un, il en est déjà à son sixième. J'ai vite abandonné la tâche pour lui en laisser l'exclusivité, il sait s'y prendre bien mieux que moi, autant le laisser faire. C'est drôle, il me nourrit et je le protège. En fin de compte, il n'y a rien de différent que lorsque nous étions à Espoir et tant que nous nous y tenons, nous pourrons continuer.

Et entre nos quatre murs, dans un semblant de sécurité, nous nous sentons presque bien. Hier, nous avons ri autour d'une brochette de rats. Depuis combien de temps cela n'était il pas arrivé ? J'en sais foutrement rien, une éternité presque. J'avais même l'impression que c'était la première fois de ma vie. Même à Espoir, mon rire n'était pas aussi sincère et léger alors que nous vivions en paix. Quel paradoxe non ? Je m'en sens presque coupable aujourd'hui. Coupable de cette légèreté alors que nos amis courent un si grand péril ; coupable de m'amuser alors que chaque instant perdu nous rapproche de l'heure où il sera trop tard. J'y repenserai très certainement quand ce sera le cas, si ça l'est un jour. En attendant, nous sommes réellement à bout de forces et nos esprits sont usés.

Mickael... Je ne le tuerai pas même s'il me le demandait parce que j'ai besoin de lui, parce qu'il est mon ami malgré tout. Nous traversons tous les deux une terrible épreuve. Je ne lui pardonnerai pas le fait de ne pas être intervenu à Espoir mais je trouverai la force de passer par dessus cela. Du courage, il en aura besoin pour affronter le monde et la douleur d'y vivre, il apprendra peut-être en restant à mes côtés. Je ne peux malheureusement pas faire grand chose de plus.

Tout comme j'ai appris autrefois à me regarder dans un miroir sans me mentir. Il en faut aussi du courage pour faire cela, et c'est à lui que je le dois. Sans sa patience et nos heures de discussion qui se perdaient jusqu'au-delà du petit matin, je n'y serais jamais parvenu. S'il ne m'avait pas apprit cela, ma patience aurait atteint ses limites depuis longtemps et j'aurais largué Mickael dans la première congère venue. Mais il a pris sur lui pour m'écarter du chemin dangereux que j'empruntais, rien que par des mots. Qui d'autre qu'un ami aurait pu faire cela ?

Il est aujourd'hui la dernière personne qui me raccroche à Espoir et qui me dit malgré lui que je n'ai pas échoué. J'aurai au moins réussi à en garder un en vie. Je ne peux pas l'abandonner ; pas lorsque je tente de sauver tout le monde, que je le veuille ou non, il fait partie du lot. Il m'aide dans ma tâche même, à sa manière, je ne peux pas l'ignorer.

Pour être tout à fait franc, je sais et j'avoue que je me sens partagé entre deux sentiments. D'un côté, je me dis tout ça et je peux supporter de continuer et dans une heure peut-être Mickael va faire ou dire un truc qui va me faire sortir de mes gonds. J'aurais alors toutes les peines du monde à garder mon calme. Je ferai des efforts dans ce sens, toutefois, je me connais et je dois admettre que cela n'est pas vraiment dans ma nature.

Heureusement, il y a le perchoir pour me calmer. J'observe la vie en contrebas et cela me permet de me changer les idées. J'observe les allées et venues de ceux qui vivent ici. Je suis surpris de les voir autant motorisés : camions, voitures,motos, il y en a par centaines. Je n'en ai jamais vu autant en état de marche depuis longtemps. Je n'ai jamais vu non plus une telle concentration d'êtres humains non plus. Bien sûr que j'en avais entendu parler mais je n'aurais jamais pu imaginer cela.

Ils ont l'air organisés en tout cas, en sorte de bandes qui ne se mélangent pas. J'ai pu observer leurs différents symboles : des loups, des ours, des chouettes, des serpents, des étoiles, des croix et enfin ceux qui nous intéressent : des crânes. Chaque bande dispose de son propre code de couleurs, certainement pour se reconnaître plus facilement. Méthode très primaire mais pas moins efficace. Les bandes ne se mélangent pas mais je n'ai pas observé de tension non plus, du moins, pas aux abords de la ville ; à l'intérieur, il en est peut-être bien autrement.

Intégrer l'une d'entre elle sera peut-être notre salut et celui des survivants d'Espoir. Je ne pense pas qu'il soit possible d'entrer dans la ville sans l'un de ces étendards et puis même si nous parvenions à infiltrer la cité sans se faire repérer, on ne sait même pas où sont détenus les nôtres. La route a pris une autre forme mais elle en demeure tout aussi longue et périlleuse.




Survivance: journal de VincentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant