Le 22 Janvier 2016

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« Qu'est ce que tu croyais hein ? On allait quand même pas te laisser une arme ? »

Je ne retenterai pas l'expérience dingo, oh non !

Non contents de me balancer à moitié à poil dans une forêt gelée, ils me privèrent de moyen de défense. Les Cobras écoutèrent mes protestations, pourtant fondées, sans jamais en tenir compte. Quel imbécile tirerait sur les seuls humains capables d'assurer sa sécurité dans un endroit aussi hostile ? Une fou, un désespéré... Mais moi ? Sérieusement ? Je chiais dans mon froc et ils me refusaient le pistolet ! Tout s'assombrit d'un coup, une véritable chape de terreur plomba ma vaillance...

Pour faire court, une fois les pièges installés, ils me bazardèrent à l'entrée du bois blanchi par le givre. Ils m'abandonnèrent avec juste assez de vêtements pour ne pas congeler sur place, des haillons trop grands et décolorés. Au moins ils ne puaient pas.

« Reste en mouvement, ça te tiendra au chaud. Pis, quand tu reviendras vers nous, le froid sera le dernier de tes soucis ! »

Certes.

Je réclamais encore l'arme de poing des précédents dingos, mais personne ne sourcilla derrière les épais masques de tissu. Jimmy ne cachait pas son visage, lui, un truc de chef disait il. Il affichait un sourire dont je ne perçois toujours pas le sens.

« Ecoute le nouveau, ça sert à rien d'insister. T'auras pas de flingues. Je pourrai t'en filer un sans munition mais tu remarquerais le truc ou tu partirais trop en confiance. T'inquiète, on te couvrira. Par contre, si tu reviens sans goule au cul, on te fusille ! »

Les règles du jeu se clarifièrent d'un coup. On accepte plus docilement ce genre de condition avec des fusils automatiques braqués sur soi. Je disposais de six heures pour dénicher au moins une goule. Plus facile à dire qu'à faire. L'affaire nécessite de d'abord trouver ces putains de monstres. Cela demande des compétences de pisteur. J'en dispose. Je m'en servais pour l'effet inverse : les éviter.

La couche de neige m'aida dans cette première partie de la chasse. Les empreintes laissées par les créatures facilitèrent grandement la chose.

Mon expérience de vigie m'apprit à ne jamais trop s'éloigner d'un abri. En cas d'urgence, un trop long et trop vif effort se révélait fatal. Alors je procédais par demi cercles, économisant mes forces dans une marche lente. La stratégie prit du temps mais s'avéra payante quand je découvris une goule en fin d'après midi. L'heure tournait, les Cobras ne tarderaient pas à lever le camp et me laisser pour mort. Le monstre engloutissait la charogne d'un renard. Je reconnus l'animal aux poils roux pendants à la bouche de la créature.

Elle me fixait sans discontinuer son labeur dégoûtant. Je ne représentais rien. Elle n'imaginait même pas le festin de ma viande lorsque la faim la tiraillerait de nouveau. Je me dis que même les écureuils constituent des réserves pour l'hiver et les goules s'en montrent incapables. A chaque rencontre, je constate tristement que l'intelligence délaisse ces choses lorsqu'elles s'arrachent lèvres et paupières.

Elle ne bougeait pas, et face à elle, planté comme un con, je ne savais pas quoi faire. Insultes et coup de pied dans la neige n'y changèrent rien. Elle continuait de mastiquer en me soutenant de son regard effroyable. Des yeux verts appartenant autrefois à une jolie jeune femme. Quel gâchis.

Je me demandais comment l'énerver, comment forcer un prédateur rassasié à me poursuivre. En lui volant sa prise !

Pressé par le soleil déclinant, aucune autre idée ne m'illumina. Un peu dégueulasse de saisir une carcasse de pleine main et de s'enfuir avec. Les tripes se balançaient de tous bords, je te passe les détails. La goule se jeta aussitôt à ma poursuite. Si la neige m'handicapait dans cette course de retour, ma poursuivante bénéficiait de mes sillons tout frais.

On se découvre des ressources incroyables dans de telles situations. Je déboulais comme un dément la mort aux trousses. Le froid priva rapidement mes jambes de sensations, je ne savais même plus laquelle était devant l'autre ! Mon cœur battait si fort, je le sentais presque jaillir de ma poitrine pour continuer seul. Je me perdis dans cette fuite effrénée et le monstre à mes talons grignotait la distance nous séparant. De foulée en foulée, sa hargne primitive la rapprochait de son précieux butin.

D'un coup, mes cuisses cédèrent et m'envoyèrent rouler dans la neige. Vautré dans la poudreuse, la faucheuse se rua sur moi en proie si facile. Un filet l'emporta soudainement dans les airs. Captive dans la toile, la créature se débattait avec rage et crachait sa haine dans d'horribles raclements de gorge. Je l'observais ainsi quelques secondes et je repris conscience en un sursaut. Je tenais encore fermement le cadavre du renard . Je m'en débarrassai avec dégoût et les Cobras apparurent autour de moi comme des fantômes silencieux. Jimmy s'avança et m'ordonna de me déshabiller. La surprise devait se lire dans mon regard alors il désigna la carcasse et je compris aussitôt ses intentions. Le sang de la bête recouvrait ma tenue peut-être contaminée. Je m'exécutai sans poser de question.

« Toutes tes fringues, les bottes avec. »

Je grelottais entièrement nu et virais rapidement au bleu. Mon supplice ne s'acheva pas encore. Le chef aspergea mes haillons d'essence et les brûla. Les flammes dispensèrent une chaleur timide pour un maigre réconfort dans ce froid mordant. Une meute de loups ne m'infligerait pas pire blessure. Jimmy renversa ensuite tout un seau d'un mélange bien à eux. Ma peau rougit à son contact et de puissantes démangeaisons accompagnèrent les odeurs de javel et de vinaigre.

« Ça décape et ça désinfecte. Maintenant frotte. »

Il me jeta une brosse à poils durs tout en gardant ses distances. Sur l'instant, je regrettais presque que l'outil de récurage ne soit pas métallique, me gratter me soulageait dans une nouvelle forme d'orgasme. Jimmy couvrit ensuite mes épaules d'une épaisse couverture de laine. Elle me réchauffa mais empira les irritations cutanée. Tu as déjà vu une écrevisse ? Pareil, Vincent l'Ecrevisse.

« J'y croyais pas mais t'as fait du bon boulot. »

Il m'indiqua ensuite le camion de quarantaine. Si je ne tourne pas goule, je choperai une crève qui restera dans les annales en plus de m'arracher la peau. Mon lot de consolation ? Une semaine d'isolement pour observer l'évolution des symptômes. Si l'envie de me séparer de mes paupières se pointe, alors je rencontrerais les Blouses plus tôt que prévu... échangé contre quelques bouteilles de vodka. Dans le cas contraire, je serai libre. Enfin !

Michel, je dispose d'une semaine supplémentaire pour réfléchir à comment te tuer.


Survivance: journal de VincentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant