Le 4 Décembre 2015

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Le premier jour de décembre est souvent important dans le calendrier ; du moins dans celui d'Espoir qui entretenait certaines traditions. Je me souviens, petit, nous fêtions Noël à la fin du mois, peu avant le changement d'année. C'était l'occasion de recevoir et d'offrir des cadeaux. Enfants, nous n'avions que le soucis d'ouvrir les paquets et, finalement, le monde était déjà bien cruel. Je savais que ma mère n'avait pas les moyens de m'offrir la multitude de jeux qui passaient en boucle à la télé. Et c'était même pire quand mon père était là puisque l'argent partait dans la boisson et il ne restait plus que des dettes et des bleus. Ma mère faisait du mieux qu'elle pouvait, je l'ai toujours su. Alors, souvent, mes jeux étaient ceux qui étaient à la mode l'année d'avant. Ils en étaient pas moins amusants mais le jour de la rentrée scolaire sonnait comme un terrible glas.

La plupart de mes camarades avaient eu ce qui se faisait de mieux et avaient déjà les même que les miens, avec une année d'avance. Leur éducation tentait toutefois de leur apprendre la retenue. « Ce n'est pas de sa faute, c'est une famille pauvre »

Pauvre.

Ceci étant dit, la moquerie arrivait ensuite très rapidement avec ses gros sabots dégueulasses. Mais ils avaient le droit puisque nous étions pauvres. « Ce n'est que la vérité, depuis quand on n'a plus le droit de dire la vérité ? ». C'est vrai, nous étions souvent mal habillés, complètement ringards et je n'allais au cinéma qu'avec l'école. La bagnole de ma mère avait vingt ans et était complètement pourrie en plus de n'avoir qu'une petite télé que l'on devait se partager. Il était connu aussi qu'elle demandait toutes les aides possibles à l'état et aux associations. N'en déplaise à certains, nous vivions et cela me suffisait.

Tout ça pour te dire que la tradition de Noël n'avait pas de sens à l'époque. Ce devait être une période qui réunissait les gens autour d'une table et à partager. Les gens n'ont jamais été réunis, les familles restaient entre elles et il n'y avait pas de partage. Ce n'était qu'une occasion de plus d'exhiber son statut social et de montrer combien nous étions riches ou pauvres. Fêter Noël aujourd'hui n'a pas plus de sens tu me diras, puisque nous partageons déjà toutes nos ressources durant toute l'année. Il n'y a même plus de cadeaux à offrir. Du coup, le Conseil des Vieux avait rebaptisé Noël en « Fête de l'Hiver ». Plus question de cadeau ou de gros monsieur habillé en rouge avec une grosse barbe blanche. Non, il était question d'un banquet réunissant tous les villageois et quelques invités extérieurs. Il était question de se péter la panse et boire à en vomir les uns sur les autres. Tout le monde à la même enseigne. Cette notion est drôlement plus abordable lorsqu'il n'y a plus de pauvre et plus de riche, seulement des survivants dans la même merde.

Même moi je m'y amusais, parfois, quand il y avait de la bagarre ou un jupon à lever. Ces deux choses là arrivaient à chaque fois grâce à nos invités des villages voisins. Il y avait souvent Trouville et Le Roman d'ailleurs, mais ce n'était pas pour faire beau ou pour le simple plaisir de gaver des gosiers supplémentaires. Non, c'était surtout l'occasion de sceller quelques accords entre les différents villages. C'est fou ce que les gens acceptent lorsqu'ils sont pleins comme des cochons.

N'empêche, tout cela a été réduit à néant. Du coup, je me demande si Mickael et moi sommes les seuls à nous en souvenir aujourd'hui ? Et quel étrange cadeau la vie nous a réservé cette année ! Mon pote me gratifie au moins de son silence, il ne m'a pas adressé la parole depuis la semaine dernière. Il continue de me suivre cependant et nous allons à bon rythme. Je ne me fais pas d'illusion, dès qu'il le pourra, il ira trouver refuge dans le premier village -ou ce qui y ressemble – que nous croiserons.

Nous avons rattrapé le retard que nous avions sur le convoi, grâce à la neige et grâce à nos raquettes. Les camions sont bloqués par les congères à de très nombreux endroits, le temps que les bandits dégagent la voix nous continuons d'avancer. Je peux les observer à présent, même si je conserve une bonne distance de sécurité, même si la sécurité est somme toute assez relative. Je suis certain de leur destination maintenant, vu le chemin qu'ils prennent. Ils veulent passer de l'autre côté de l'ancienne frontière allemande. Pour cela ils sont obligés d'emprunter les anciens grands axes routiers.

Et c'est là que je bénis Espoir et ses traditions pour la première fois de ma vie. Il y a quelques années de cela, nous recevions un lointain village de survivants. Ils faisaient le commerce d'armes et de munitions et ils étaient originaires de ce coin de la région. Impossible de me souvenir de leur nom par contre. Il y avait un mec qui voulait absolument me marier avec sa fille. Il était vieux et elle avait bien quinze ans de plus que moi. Ça ne m'a pas empêcher de découvrir les secrets de sa culotte tu me diras. De toute manière, elle n'avait pas plus envie que moi de se marier, alors autant en profiter un peu.

Enfin, son père était complètement bourré et il ne m'a pas lâché de la soirée. Je ne pensais pas que quelqu'un pouvait autant parler. Il parlait tellement. Mais tellement. Incroyable. Il m'a notamment raconté que tout près de chez eux il y avait un pont et un tunnel très fréquentés autrefois. « Avait » parce qu'ils ont tous les deux été détruits pour empêcher ce genre de convoi de passer, justement. La ruse n'était pas défensive -bien au contraire- puisqu'elle détournait les voyageurs vers leur village qui prélevait une taxe de passage. « La taxe anti-pollution » qu'ils appelaient ça. Ils avaient assez de flingues et de balles pour s'assurer du bon déroulement des choses. Ceux qui ne voulaient pas payer devaient faire demi-tour ou étaient contraints de faire un long détour. Tu vois où je veux en venir ? Ceux que nous poursuivons devront faire ce détour et nous sommes sur leurs talons. Avec de la chance et un peu de neige encore, nous pourrions prendre une ou deux journées d'avance parce qu'à pied, nous pourrons franchir ces obstacles. Il n'y aura plus qu'à tendre une embuscade !

J'ai déjà une idée. Nous allons dissimuler des pieux dans la neige pour immobiliser les camions. Les chutes de neige nocturnes cacheront l'ouvrage, ils n'y verront que du feu. Nous disposerons quelques fusils ça et là le long des arbres et des arbustes dépenaillés. Avec encore un peu de chance il y aura des épineux pour nous couvrir davantage. Il ne restera plus qu'à faire mouche, les bandits ne sauront pas d'où ça vient, ni combien nous sommes. Pour mettre toutes les chances de mon côté je serai le seul tireur. Mickael se contentera de recharger les fusils. Il ne reste plus qu'à trouver l'endroit le plus propice pour tendre le piège. Je les aurai ces fils de putes, il n'y a pas de raison que cela se passe de manière différente.



Survivance: journal de VincentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant