4- "Une ambiance plus glauque qu'à la carrière " 1/3

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« Je ne pensais pas qu'une ambiance plus glauque
que dans la carrière était possible. »
Razilda, Jultèque aux abois


La porte s'ouvrit tout doucement. Un nez proéminent apparut, précédant une moustache et des sourcils abondamment fournis. Avec une expression furtive qui ne lui seyait pas du tout, le baron Hasselbach pénétra dans la chambre de sa fille et referma le battant sans bruit. D'un coup d'œil circulaire, il évalua la pièce dans laquelle il n'était plus rentré depuis bien des années.

Il s'agissait d'une chambre de jeune fille des plus classiques. Toutes les teintes de mauve y étaient représentées, partout où se posait le regard. Le tissu parme du baldaquin cascadait légèrement sur la courtepointe en patchwork violet du grand lit. Impeccablement rangé, un bureau à cylindre était placé devant la fenêtre, encadrée de lourds rideaux parme. Plumes et encrier s'alignaient sur le sous-main lavande. De l'autre côté du lit, une immense armoire contenait toutes les toilettes de la jeune Annalena. Seul vestige de l'enfance, une imposante poupée vêtue d'une robe améthyste était assise au bout du lit.

Cette apparente normalité rassura un peu le baron. Cependant, depuis sa fugue, l'homme avait remarqué que sa fille commençait à changer. Jamais elle n'avait voulu avouer la véritable raison qui l'avait poussée à quitter la demeure familiale. Elle avait prétexté une brusque envie de voir la vie quotidienne de leurs vassaux qui s'était mal terminée lorsqu'elle s'était égarée. Cette excuse n'avait aucun sens, mais Annalena avait juré que cette mésaventure lui avait servi de leçon et que jamais elle ne referait une semblable erreur. Elle avait repris sa place dans le rang et, en apparence, rien n'avait changé. Du moins les premiers jours. Puis la jeune fille sage et passive s'était mise à poser des questions. Il l'avait même surprise en grande conversation avec son frère aîné au sujet des relations qu'ils entretenaient avec les seigneurs voisins. Tristan avait paru tout aussi stupéfait que lui-même de ce nouvel intérêt de sa sœur pour la politique.

Le baron avait eu tellement peur le jour de sa fugue que depuis, il surveillait attentivement le moindre signe d'évolution. À ses yeux, une seule chose pouvait autant faire changer une jeune fille.

L'amour.

Et même s'il ne voyait pas bien le rapport avec sa soudaine curiosité, il était fort préoccupé de savoir sur quel godelureau Annalena avait jeté son dévolu.

Pour faire taire ses inquiétudes, il s'était donc introduit dans sa chambre, en cachette et pétri de culpabilité. Tentant d'alléger son pas pesant sur les lattes du parquet, il se dirigea tout droit vers le bureau. Il ouvrit les tiroirs, parcourut la correspondance qui s'y trouvait, souleva le sous-main, sans que rien n'attirât son attention. Après une brève hésitation, il se mit à genoux pour chercher sous le lit. Toujours rien. Il secoua les robes dans l'armoire, inspecta les coins du meuble. En vain.

Le baron Hasselbach ne savait s'il devait se féliciter de son absence de succès ou s'en inquiéter. Il imaginait difficilement son Annalena assez astucieuse pour dissimuler tout indice d'une romance naissante. Il s'était même attendu à trouver tout de suite dans un des tiroirs de son bureau, des lettres, des fleurs séchées ou des poèmes. Il scruta la pièce avec impatience, irrité de se sentir tenu en échec par sa propre fille. Il n'avait pas prévu d'y passer tant de temps.

L'homme s'approcha du lit avec un soupir résigné. Il aurait préféré ne pas en arriver là. Les coussins furent soulevés, déplacés, secoués, sans révéler le moindre secret. Enfin, il finit par glisser sa main entre le matelas et le cadre du lit. Et là, ses doigts sentirent soudain l'épaisseur du papier. Victorieux, il tira sa trouvaille de sous le matelas pour l'examiner. Il tenait une simple feuille pliée en trois. Le baron Hasselbach en fut presque déçu. Le soupirant de sa fille semblait cruellement manquer d'imagination. Sans plus d'hésitation, il déplia la missive et en commença la lecture.

Poussières de TerresWhere stories live. Discover now