3- "J'ai bien aimé le spectacle." 1/3

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« J'ai bien aimé le spectacle. Ce qui a suivi, un peu moins. »
Kaolan, homme-félin mélomane


Alors qu'ils chevauchaient vers Laudengen, Saï réalisa qu'elle en avait assez. Assez d'être sur les routes, assez d'être traquée par les Sulnites. Bien sûr, elle ne regrettait rien de tout ce qui l'avait menée à cette situation précise. Elle adorait ses compagnons, même Razilda pour laquelle elle avait eu très peur quelques jours plus tôt, même Kaolan qu'elle aurait volontiers écorché vif il n'y a de cela que trois mois.

Elle n'aurait manqué pour rien au monde le sauvetage d'Hermeline, ou la découverte de la Bibliothèque. Elle était extraordinairement fière de ses actes durant le combat contre le Ravageur et n'attendait que de pouvoir chevaucher Tempête à nouveau. Sans oublier la rencontre avec les saltimbanques qui avait été magique.

Elle avait vraiment vécu des moments exceptionnels, le genre d'aventure dont elle avait toujours rêvé lorsqu'elle habitait encore sur Derusto'th.

La jeune fille n'avait pourtant aucune envie de retourner chez elle. Sa famille lui manquait bien un peu, mais elle semblait déjà appartenir à une autre vie. Pour l'heure, elle aspirait surtout à un peu de calme et de tranquillité, juste le temps de reposer ses fesses endolories par les longues chevauchées.

Saï se surprenait à rêvasser au futur. Que ferait-elle lorsque Eliz aurait vaincu les Sulnites ?

Fait dont elle ne doutait pas un seul instant de l'accomplissement.

Elle aurait aimé profiter d'une vie paisible à Riven'th avec ses compagnons. Pour un temps, tout au moins. Mais ses amis resteraient-ils ensemble une fois les Sulnites chassés de l'île ? Elle était quasiment sûre du contraire. Quand elle y pensait, son cœur se serrait douloureusement. Ils étaient tous si indépendants, si... adultes avec leurs buts et leurs aspirations si bien définis. Elle ne pouvait que ressentir une amère pointe d'envie à cette idée. Ce fut lorsque son regard tomba sur Tempête qui voletait non loin d'eux qu'elle comprit enfin. Un large sourire naquit sur son visage tandis que sa poitrine se gonflait. C'était lui son avenir, sans aucun doute.

Alors que le moral lui revenait, ses yeux scrutèrent l'horizon, cherchant à deviner Laudengen dans le lointain. Certainement, ce serait l'occasion d'enfin se reposer.

À l'inverse d'Hasselbrück, Laudengen n'était pas une riche ville commerçante. Elle avait poussé là, dans la grande plaine occidentale, sans raison apparente, comme une verrue au bout d'un nez. Pourtant, elle avait connu un regain de développement lorsque le seigneur local s'était lancé avec succès dans la culture de garance, après s'être longtemps demandé ce qui pourrait distinguer son fief des autres. Il avait réussi son pari, et depuis, la ville était réputée pour l'habileté de ses teinturiers. C'était de ses ateliers que venaient les tissus du plus beau rouge et tout Rivenz un peu pointilleux sur son apparence ne se serait jamais fourni ailleurs. Cette prospérité nouvelle n'était cependant pas parvenue à effacer ses débuts chaotiques dont la trace était encore bien visible dans son architecture disparate et son étalement désordonné.

Eliz et Hermeline avaient suffisamment de sujets de préoccupation pour négliger de renseigner leurs amis sur ces détails. Tout ce qui comptait à leurs yeux était que Laudengen abritait une auberge huppée dans laquelle les attendait un contact de la Résistance.

Sur une éminence, à une lieue de la ville, le groupe observait les maisons qui se pressaient anarchiquement les unes contre les autres. Ici, aucun rempart ne s'élevait pour les contenir et elles s'étalaient où bon leur semblait.

– Je vais chercher les informations qu'il nous manque et je reviens, ça vous va ? proposa Eliz du haut de sa monture.

– Quoi ? Jamais de la vie ! s'indigna Saï. C'est l'idée de passer une nuit dans cette auberge qui m'a permis de tenir en selle si longtemps !

Poussières de TerresWhere stories live. Discover now