12- "Il était complètement givré !" 2/2

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– Je vous reconnais, c'est vous le butor qui n'aimez pas mon accent ! s'exclama Saï avec rancune.

L'homme perdit sa contenance une seconde sous le regard hostile de la jeune fille. Ce n'était pas le genre de remarque auquel il s'attendait. Mais il reprit vite son aplomb.

– Nous nous sommes effectivement déjà rencontrés, même si je ne me souviens pas avoir prononcé semblables paroles. Je suis Ademar Valiens, propriétaire de ce théâtre, directeur et acteur vedette de cette petite troupe. Pour vous servir.

Et il ponctua cette tirade d'une courbette théâtrale tout à fait adaptée. Saï fronça les sourcils, un peu de son angoisse allégée. Elle avait du mal à croire que la troupe qui l'entourait puisse lui vouloir du mal. « Paysanne écervelée ! » lui aurait sans doute dit Eliz pour la ramener sur terre.

En plus du jeune homme pompeux qui venait de se présenter et qui avait effectivement tout du jeune premier, il y avait autour d'elle un couple d'une quarantaine d'années et le colosse à l'air débonnaire qui lui avait sans doute servi de porteur dans les rues de la ville. Et c'était tout. S'il s'agissait là des seuls effectifs de la troupe, leur répertoire devait être assez limité.

– Pour me servir ? répéta Saï qui prenait de l'assurance. Pour me servir de quoi ? De ravisseur ?

– Je suis désolé d'avoir eu recours à un tel expédient, se récria l'homme. Je n'ai pas pu résister, cela me semblait tellement romanesque de vous sauver ainsi.

– De me sauver ? Vous délirez, c'est plutôt maintenant que j'ai besoin d'être sauvée !

La confusion de Saï était évidente.

– Vous vous méprenez, nous n'avons pas de mauvaises intentions. Je suis passé plusieurs fois à votre auberge pour y rencontrer un auteur particulièrement difficile à convaincre et je n'ai pu m'empêcher de remarquer la manière dont vous traitait cette horrible femme. Il a suffi d'un verre de vin drogué offert par un inconnu pour la rendre inoffensive pour la nuit.

Les yeux de Saï s'arrondirent de stupéfaction au fil du discours d'Ademar. Celui-ci se méprit sur son silence, et continua avec animation.

– Lorsque nous avons discuté ensemble et que vous m'avez confié votre intérêt pour notre art, je me suis juré de vous arracher des griffes de votre tourmenteur et de son sbire poilu...

Cette fois-ci s'en fut trop et Saï éclata d'un fou rire nerveux.

L'acteur vedette de la troupe en resta interdit. Quand son invitée se fut un peu calmée, il tenta :

– N'êtes-vous point soulagée ? Nous pensions vous proposer d'intégrer notre troupe, notre actrice principale a décidé de nous quitter et ...

Saï pensa à ses amis restés à l'auberge, à leur projet de départ pour le lendemain et à l'importance de leur voyage. En songeant que tout cela pouvait être remis en cause par la faute de ce fat imbécile, elle sentit sa colère monter jusqu'à un niveau jamais atteint. Elle sauta sur ses pieds et braqua un index accusateur sur lui.

– Vous êtes complètement cinglé ! Ça ne m'étonne pas que votre actrice vous ait lâché.

– Et vous ! continua-t-elle à l'adresse du reste de la troupe, comment pouvez-vous le laisser faire ce genre de choses ?

Ceux-ci paraissaient mal à l'aise, jetant des regards par en-dessous à Ademar. Le colosse triturait sa tunique d'un air gêné, en marmonnant « c'est lui l'patron ».

– Vous allez donc me laisser partir tout de suite !

– Avez-vous bien réfléchi ? tenta encore Ademar. Il arrive qu'on s'attache à ses bourreaux. Nous vous donnons l'opportunité de vous libérer de leur influence et de repartir à zéro.

Poussières de TerresWhere stories live. Discover now